Au fil du savoirJekyll2015-03-11T09:12:48+01:00https://aufildusavoir.fr/Pierre Buardhttps://aufildusavoir.fr/https://aufildusavoir.fr/articles/depoussierer-les-etoiles2011-04-18T00:00:00+02:002011-04-18T00:00:00+02:00Pierre Buardhttp://aufildusavoir.fr
<p>L’Univers est vaste, oui, mais de combien exactement ? Pour répondre à cette question il faut établir des repères.</p>
<p>Cette tâche est rendu difficile par le fait que le ciel nous apparaît en 2 dimensions et qu’il n’y a rien de plus semblable à un point lumineux qu’un autre point lumineux. Ce point lumineux lointain apparaîtra proche, car énorme, alors qu’un autre point, tout aussi lumineux, sera beaucoup plus près et donc petit. Pour remédier à ce problème les astronomes ont dû trouver un objet, les supernovæ, dont on maîtrise le comportement afin de s’en servir comme jalon et ainsi mesurer les distances.</p>
<p>Mais, car il y a toujours un « mais », l’espace entre la Terre et ces supernovæ n’est pas vide ! De la poussière, qui ne s’accumule pas que sur les télescopes, jonche l’Univers diminuant l’intensité des corps lumineux. Donc, il a fallu étudier cette poussière pour comprendre son influence.</p>
<p>C’est ce qu’a fait le Dr. Emmanuel Gangler, de l’<a href="//www.in2p3.fr/">Institut national de physique nucléaire et de physique des particules</a>, au sein d’un groupe international : la <a href="//snfactory.lbl.gov/">Nearby Supernova Factory</a>.</p>
<p><strong>Écouter « Dépoussiérer les étoiles »</strong> \</p>
<audio src="/podcasts/afds_20110418.mp3" controls="" preload="none"></audio>
<p><br />
<em><a href="/podcasts/afds_20110418.mp3">Télécharger « Dépoussiérer les étoiles » au format MP3</a>.</em></p>
<h2 id="transcription">Transcription</h2>
<p><em>Comment fait-on pour calculer les distances ?</em></p>
<figure class="pull-right">
<a href="//farm1.staticflickr.com/68/194383150_a9ab1f4dbf_o_d.jpg">
<img src="/images/depoussierer-les-etoiles/small_194383150_a9ab1f4dbf_o.jpg" alt="Ciel étoilé avec reflet sur l'eau." title="La Voie Lactée. Par Chris Dick." /></a>
<figcaption><a href="//www.flickr.com/photos/nhbdy/194383150/">La Voie Lactée.<br />Par Chris Dick.</a></figcaption>
</figure>
<p>Le principe est relativement simple mais la mise en œuvre est compliquée. Nous avons affaire à des objets qui sont lumineux et lointains. Il n’est bien sûr pas question de prendre un mètre et d’arpenter l’Univers, cela prendrait beaucoup trop d’années pour réaliser la mesure. Donc, nous allons observer la lumière des étoiles telle qu’elle nous parvient.</p>
<p>Le principe est simple : plus la lumière est faible, plus on a envie de dire que l’étoile est lointaine, alors que plus elle est forte et on a envie de dire que l’étoile est proche. C’est une méthode qu’on appelle la « méthode des chandelles standard ». Si vous imaginez quelqu’un qui tient une bougie en regardant la lumière qui vient de la bougie vous pouvez dire si la personne est proche ou lointaine, même si tout le reste est plongé dans le noir.</p>
<figure class="pull-left">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/43/Alpha_centauri_size.png">
<img src="/images/depoussierer-les-etoiles/small_Alpha_centauri_size.png" alt="Disques solaires." title="Comparaison entre (de gauche à droite) le Soleil, α Centauri A, α Centauri B et Proxima du Centaure. Par RJHall." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Alpha_centauri_size.png">Comparaison entre le Soleil et le système α Centauri.<br />Par RJHall.</a></figcaption>
</figure>
<p>Tout ça est très bien mais c’est un petit peu théorique parce-que des étoiles, à priori, il y en a des grosses, des petites et on comprend tout de suite que ça va compliquer la mesure. Depuis maintenant une bonne vingtaine d’années, les chercheurs ont mis en évidence un type d’étoile particulier qui sont des étoiles explosives. On les appelle « supernovæ de type Ia ». Ces étoiles ont le bon goût d’exploser avec toujours à peu près la même quantité de lumière produite. Donc on a une espèce d’objet magique, de chandelle magique, qu’on va pouvoir voir extrêmement loin dans l’Univers. Tout simplement parce-qu’un objet qui explose libère d’un seul coup une très grande quantité d’énergie, dont la luminosité est connue d’après des principes théoriques.</p>
<p>Il y a malheureusement quelques complications qui viennent du fait que ces objets explosent dans les galaxies, des ensembles d’étoiles pouvant contenir de la poussière, où la lumière passe à travers la poussière qui va en absorber une certaine quantité. Une quantité qui n’est pas forcément connue avec une poussière dont la nature est tout aussi inconnue.</p>
<p><em>Ce n’est pas la même poussière ici que… là-bas ?</em></p>
<p>C’est quelque chose qui n’est pas évident à priori. Quand on regarde des supernovæ exploser dans des galaxies extrêmement lointaines, on pourrait se dire que l’évolution des étoiles n’est pas aussi aboutie qu’aujourd’hui, car plus on regarde loin, plus on va regarder tôt dans le temps et on aura affaire à un Univers plus jeune. Est-ce que, dans cet Univers plus jeune, la taille des grains ne va pas être affectée par l’évolution stellaire ? On pense notamment à la quantité de métaux qui sont produits par les étoiles mais ce n’est pas la seule hypothèse. Rien n’est moins sûr et comme toute notre mesure repose justement sur la lumière qu’on reçoit, il est très important de s’assurer qu’on ne fait pas d’erreur sur cette mesure de distance.</p>
<figure>
<img src="/images/depoussierer-les-etoiles/Hubble_Probes_the_Early_Universe.jpg" alt="La technologie s'améliorant on observe de plus en plus loin et, donc, on remonte dans le temps." title="Historique des capacités d'observations. NASA." />
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Hubble_Probes_the_Early_Universe.jpg">Historique des capacités d'observations.<br />NASA.</a></figcaption>
</figure>
<p><em>Pourquoi veut-on avoir des mesures de distance extrêmement précises ?</em></p>
<figure class="pull-right">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/5e/Universe_expansion_%28fr%29.PNG">
<img src="/images/depoussierer-les-etoiles/small_Universe_expansion_(fr).png" alt="En partant d'une singularité, les galaxies s'éloignent les une des autres." title="D'après la théorie du Big Bang, l'Univers est en constante expansion depuis sa naissance. Par Fredrik." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Universe_expansion_%28fr%29.PNG">L'Univers en constante expansion depuis sa naissance.<br />Par Fredrik.</a></figcaption>
</figure>
<p>Tout simplement parce-qu’on a observé expérimentalement que plus les supernovæ sont lointaines, moins elles sont lumineuses. Ça on s’y attendait, mais en même temps on s’est aperçu qu’elles étaient moins lumineuses que ce à quoi on s’attendait. L’interprétation est en terme d’expansion de l’Univers ; cette expansion qui va en s’accélérant est un résultat tout à fait incompris. Alors il est très important pour consolider ce résultat d’être sûr de notre mesure et, donc, que ces effets de poussières sont bien compris.</p>
<p><em>Vous avez parlé de « supernova de type Ia », cela veut dire qu’il y a plusieurs types ?</em></p>
<p>Il y a une grande zoologie de supernovæ. En fait, il existe deux grandes classes de supernovæ : les supernovæ de type Ia résultent de gigantesques explosions thermonucléaires qui ont lieux dans l’espace et qui s’observent. On les appelle « I » parce-qu’elles n’ont pas d’hydrogène observé. Les supernovæ de type II sont celles qui ont de l’hydrogène observé.</p>
<figure class="pull-left">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/00/Crab_Nebula.jpg">
<img src="/images/depoussierer-les-etoiles/small_Crab_Nebula.jpg" alt="La nébuleuse du Crabe." title="La nébuleuse du Crabe, rémanent de SN 1054. NASA/ESA, J. Hester et A. Loll." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Crab_Nebula.jpg">La nébuleuse du Crabe, rémanent de SN 1054.<br />NASA, ESA, J. Hester et A. Loll.</a></figcaption>
</figure>
<p>Puis on s’est aperçu que dans les supernovæ de type I, il y avait : celles ayant de l’hélium Ib, celles n’en ayant pas, Ia, et puis on a même par la suite mis en évidence des supernovæ dites de type Ic. En fait, les supernovæ de type II, Ib et Ic sont des explosions liées à la mort d’étoiles extrêmement massives. Ce sont les phénomènes explosifs auxquels les gens pensent naturellement quand on leur parle de supernova. Le mécanisme est simple : plus une étoile est massive, c’est-à-dire plus de huit fois la masse du Soleil, plus la fin de sa vie va être violente et donc produire des ondes de choc qui vont complètement volatiliser l’étoile (je simplifie, bien entendu).</p>
<figure class="pull-right">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/10/Supernova_Companion_Star.jpg">
<img src="/images/depoussierer-les-etoiles/small_Supernova_Companion_Star.jpg" alt="Étoile naine captant un jet de matière d'une autre étoile." title="Naine blanche dérobant le combustible d'une autre étoile. ESA et Justyn R. Maund." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Supernova_Companion_Star.jpg">Naine blanche dérobant le combustible d'une autre étoile.<br />ESA et Justyn R. Maund.</a></figcaption>
</figure>
<p>Pour les supernovæ de type Ia, c’est un autre mécanisme. Ça part d’étoiles déjà mortes, des <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Naine_blanche">naines blanches</a>, mais qui orbitent autour d’un compagnon (un peu comme les planètes orbites autour du soleil) et qui vont peu à peu aspirer de la matière de ce compagnon jusqu’à atteindre la <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Masse_de_Chandrasekhar" title="Du nom de l'inventeur.">masse de Chandrasekhar</a>. Elle correspond à 1,4 fois la masse du soleil. Si vous réussissez à prendre une naine blanche et la faire croître jusqu’à cette masse de Chandrasekhar et bien ça donne une explosion, qui explosera toujours dans les mêmes conditions initiales et qui a pour conséquence une supernova émettant toujours la même luminosité. Voilà un peu pour les différences entre les supernovæ de type Ia et les autres supernovæ.</p>
<p><em>Pourquoi travaille-t-on avec les supernovæ de type Ia ?</em></p>
<figure class="pull-left">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a2/SN1994D.jpg">
<img src="/images/depoussierer-les-etoiles/small_SN1994D.jpg" alt="Point lumineux aux abords d'une galaxy lenticulaire." title="SN 1994D dans la galaxie NGC 4526 (point lumineux, en bas à gauche). NASA/ESA, The Hubble Key Project Team et The High-Z Supernova Search Team." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:SN1994D.jpg">SN 1994D dans la galaxie NGC 4526.<br />NASA/ESA.</a></figcaption>
</figure>
<p>Parce-qu’elles sont très reproductibles. Il s’agit toujours de la même quantité de matériaux qui va exploser et que les supernovæ de type II ont le mauvais goût d’être beaucoup moins lumineuses que les supernovæ de type Ia. Donc on les voit moins loin dans l’Univers.</p>
<p><em>Comment fait-on ce genre d’observation ?</em></p>
<p>La façon de mener ses observations a beaucoup changée ces dernières années. Il y a encore vingt ans, chasser les supernovæ était quasiment du travail d’amateur. Il fallait regarder le ciel régulièrement et puis chercher à l’aide de son télescope des nouveaux points qui brillaient dans le ciel. Pendant longtemps, le détenteur du record du monde de la découverte de supernova était un <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Evans_%28astronome%29" title="Robert Owen Evans">pasteur Australien</a> connaissant très bien le ciel et qui, avec son télescope toutes les nuits, cherchait de nouvelles étoiles. Il en a trouvé un certain nombres comme ça.</p>
<p>Maintenant on est passé à des techniques plus « industrielles ». À l’aide d’instruments plus ou moins automatisés, avec des caméras <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Capteur_photographique#Les_capteurs_CCD" title="Charge-Coupled Device ou dispositif à transfert de charge.">CCD</a> ; des espèces d’appareils photo numériques extrêmement sensibles mis derrière les télescopes. C’est un peu toujours la même histoire : on regarde une portion du ciel toutes les trois nuits, en moyenne, pour ensuite procéder à une soustraction d’images. On voit ainsi tous les changements dans le ciel. Il y a beaucoup de choses qui peuvent avoir changé. Il faut procéder à ce qu’on appelle un nettoyage des données ; retirer tous les satellites artificiels, mais pas que.</p>
<figure class="pull-right">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/fa/InnerSolarSystem-fr.png">
<img src="/images/depoussierer-les-etoiles/small_InnerSolarSystem-fr.png" alt="Orbites des planètes du système solaire, soupoudrées d'astéroïdes." title="Schéma de la ceinture d'astéroïdes et des astéroïdes troyens. Par Mdf." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:InnerSolarSystem-fr.png">Schéma de la ceinture d'astéroïdes et des astéroïdes troyens.<br />Par Mdf.</a></figcaption>
</figure>
<p>Ce qui nous embête le plus pour trouver les supernovæ ce sont les astéroïdes, ces petits corps, de gros rochers perdus dans l’espace, qui tournent autour du Soleil en renvoyant une faible fraction de la lumière du Soleil. Comme on cherche des objets qui sont extrêmement loin, donc extrêmement peu lumineux, ils apparaissent sur nos prises de vues alors qu’ils n’étaient pas sur l’image d’avant.</p>
<p>Il y a un certain nombre de nettoyages à faire en fonction de critères tel que l’évolution lumineuse de l’objet. Une supernova est en général associée à une galaxie, sa luminosité croit tandis que l’astéroïde lui, va défiler, il va passer. Sur la pose suivante, il ne sera plus là. On arrive à un lot raisonnablement « pur » en supernovæ. Il faut aller quand même assez vite parce-qu’on a une dizaine de jours avant que la supernova atteigne son point le plus lumineux (appelé le maximum de luminosité) avant de s’éteindre doucement pendant quelques mois. Il faut essayer de réaliser la mesure autour de ce maximum de lumière.</p>
<figure class="pull-left">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/e9/SiliconCroda.jpg">
<img src="/images/depoussierer-les-etoiles/small_SiliconCroda.jpg" title="Bloc de silicium purifié avec son spectre. Par Enricoros." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:SiliconCroda.jpg">Bloc de silicium purifié avec son spectre.<br />Par Enricoros.</a></figcaption>
</figure>
<p>À partir du moment où on a détecté un objet qui pourrait être une supernova, il faut réagir assez vite pour faire une mesure de <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Spectroscopie" title="Étude expérimentale de la décomposition d'un phénomène physique sur une échelle d'énergie, ou toute autre grandeur se ramenant à une énergie (fréquence, longueur d'onde, etc.).">spectroscopie</a> afin de vraiment identifier l’objet de façon formelle. Cela se fait en observant ces fameuses lignes, ou raies, dans le spectre. Il ne doit pas y avoir d’hydrogène mais plutôt certaines raies liées au silicium qui constituent la « carte d’identité » de la supernova et qui permettent de l’identifier sans ambiguïtés.</p>
<p>Avec ce genre de technique, le <a href="//www.cbat.eps.harvard.edu/lists/RecentSupernovae.html">nombre de supernovæ</a> trouvées de part le monde ces dix dernières années atteint entre 700 et un millier de supernovæ enregistrées. La prochaine décennie devrait arriver à des nombres beaucoup plus grand. Notamment, il y a un projet de télescope automatisé aux États-Unis, devant être mis en service vers 2020, appelé le <a href="//www.lsst.org/lsst" title="Large Synoptic Survey Telescope.">LSST</a>. Ce sera une véritable usine à supernovæ ; on devrait en observer des dizaines de milliers, voir des centaines de milliers.</p>
<p><em>Le ciel s’ouvre, donc.</em></p>
<p>Le ciel s’ouvre et, de façon assez incroyable, on en est vraiment aux touts premiers résultats permettant de vraiment faire des études de statistiques sur les objets. On en observe un très grand nombre dans des conditions presque identiques, ce qui permet justement d’identifier les effets subtils comme les problèmes de poussières dont on parlait tout à l’heure.</p>
<p><em>Le Dr. Emmanuel Gangler est Chercheur à l’<a href="//www.in2p3.fr/">Institut national de physique nucléaire et de physique des particules</a>.</em></p>
<p><em>Les travaux issus d’une collaboration franco-américaine (<a href="//snfactory.lbl.gov/">The Nearby Supernova Factory</a>) ont été publiés dans le journal Astronomy and Astrophysics (DOI : <a href="//dx.doi.org/10.1051/0004-6361/201116723" title="The reddening law of type Ia supernovæ: separating intrinsic variability from dust using equivalent widths.">10.1051/0004-6361/201116723</a>)</em></p>
<blockquote>
<p>« Une poussière suffit à troubler l’œil de l’esprit. » <br />
The Tragical history of Hamlet, William Shakespeare, 1603 <br />
(trad. Jean-Michel Déprats)</p>
</blockquote>
<p><a href="https://aufildusavoir.fr/articles/depoussierer-les-etoiles/">Dépoussiérer les étoiles</a> publié par Pierre Buard sur <a href="http://aufildusavoir.fr">Au fil du savoir</a> le April 18, 2011.</p>
https://aufildusavoir.fr/articles/le-mordant-des-eponges-carnivores2011-04-15T00:00:00+02:002011-04-15T00:00:00+02:00Pierre Buardhttp://aufildusavoir.fr
<p>Quand on pense à une éponge, nous vient immédiatement à l’esprit cette chose jaune et molle, que des individus sadiques frottent sur diverses surfaces. Ces tortionnaires ignorent qu’ils ont entre leurs mains des animaux provenant des fonds marins.</p>
<p>Comme tous les animaux, il existe plusieurs variétés d’éponges : certaines filtrent paisiblement l’eau alentour afin d’en retirer les nutriments nécessaires et d’autres, tout aussi paisibles, attendent qu’une proie plus substantielle passe pour la capturer.</p>
<p>C’est de ces dernières éponges carnivores dont nous allons parler avec le Dr. Jean Vacelet, suite à la découverte de 3 nouvelles espèces, pêchées au large de la Nouvelle-Zélande.</p>
<p><strong>Écouter « Le mordant des éponges carnivores »</strong> \</p>
<audio src="/podcasts/afds_20110415.mp3" controls="" preload="none"></audio>
<p><br />
<em><a href="/podcasts/afds_20110415.mp3">Télécharger « Le mordant des éponges carnivores » au format MP3</a>.</em></p>
<h2 id="transcription">Transcription</h2>
<p><em>Parlez-moi de ces nouvelles espèces éponges carnivores, à quoi ressemblent-elles ?</em></p>
<figure class="pull-right">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/20/MicroscopicSpiculesfromPachastrellidSponge.jpg">
<img src="/images/le-mordant-des-eponges-carnivores/small_MicroscopicSpiculesfromPachastrellidSponge.jpg" alt="Vue microscopique de spicules à trois branches." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:MicroscopicSpiculesfromPachastrellidSponge.jpg" title="Spicules microscopiques. National Oceanic and Atmospheric Administration.">Spicules d'éponges.<br />National Oceanic and Atmospheric Administration.</a></figcaption>
</figure>
<p>Leur morphologie est similaire aux autres éponges carnivores de l’océan profond mais elles diffèrent par leurs spicules. C’est grâce aux spicules, de petits éléments du squelette, qu’on différencie les espèces d’éponges. Dans ce cas, ces spicules sont très différents des autres espèces d’éponges carnivores.</p>
<p><em>Pourriez-vous me les décrire ?</em></p>
<p>Il y en a deux toutes petites. Ce sont de petits disques pédonculés qui mesurent quelques millimètres. Un pédoncule porte un disque qui normalement porte des filaments qui servent à la capture des proies. Les filaments sur ces échantillons sont en mauvais états du fait qu’ils ont été remontés de 3000 à 4000 mètres de profondeurs.</p>
<figure class="pull-left">
<img src="/images/le-mordant-des-eponges-carnivores/eponge-carnivore.jpg" alt="Éponge similaire à un petite arbuste." />
<figcaption><a href="//www.cnrs.fr/inee/communication/breves/jeanvacelet.htm" title="Abyssocladia sphaerichela de Nouvelle-Zélande. Par Jean Vacelet.">Abyssocladia sphaerichela de Nouvelle-Zélande.<br />Par Jean Vacelet.</a></figcaption>
</figure>
<p>La troisième espèce est une forme ramifiée, branchue, en très bon état. C’est un petit <a href="//fr.wiktionary.org/wiki/arbuscule" title="petit arbre">arbuscule</a> de quelques centimètres de haut dont les branches sont pourvues de très nombreux filaments. Sur ces filaments sont disposés des petits spicules crochetés qui piègent des crustacés dont elle se nourrit.</p>
<p><em>Où les a-t-on trouvées ?</em></p>
<p>En Nouvelle-Zélande et dans les eaux territoriales australiennes par des dragages effectués entre 1000 et 3000 mètres.</p>
<p><em>Mis à part ces espèces néo-zélandaises, y a-t-il d’autres éponges carnivores ?</em></p>
<p>Pour vous raconter toute l’histoire, c’est un groupe d’éponge qui était connu depuis 1870 environ, trouvé au large de la Norvège. Le premier à les avoir trouvées n’avait pas compris qu’elles étaient carnivores. Il n’avait pas vu ce qui caractérise les éponges, c’est-à-dire le système de canaux et de cellules flagellées qui font circuler l’eau et qui la filtre à l’intérieur des éponges. Toutes les éponges vivent en filtrant l’eau et en recueillant les bactéries dont elles se nourrissent. N’ayant pas trouvé ce système caractéristique, il pensait que c’était dû au fait qu’elle avait été ramassée à 600 mètres de profondeur et que, durant la remontée dans le chalut, elle avait souffert et perdu leur organisation (ce sont des animaux assez fragile).</p>
<p>Depuis on en a trouvé à peu près 80 espèces appartenant à cette famille, dans tous les océans, mais toujours à grandes profondeurs. On n’y voyait pas non plus d’ouvertures, de canaux, de système aquifère caractéristique mais ça n’étonnait plus les gens.</p>
<p>Et puis nous en avons trouvée une qui au lieu de vivre en grande profondeur, se tapie dans une grotte à vingtaines de mètres de profondeur seulement en Méditerranée. Cela s’explique, car la grotte est constamment en eaux froides. Elle a un profil descendant, car on entre dans la grotte à 15 mètres de profondeur avant de descendre à 24 mètres ; donc en forme de puits. L’eau froide de l’hiver, plus dense, reste piégée à l’intérieur de cette grotte pendant toute l’année. Ce qui fait qu’en plein Été on peut avoir 24°C à l’extérieur de la grotte et de 13 à 15°C à l’intérieur. Ces conditions sont comparables à celles des grandes profondeurs, de la Méditerranée du moins. Ces conditions ont fait qu’une espèce vivant habituellement dans les profondeurs de la Méditerranée a pu s’installer dans cette grotte. Cette situation était intéressante puisqu’on pouvait l’étudier en bon état. En étudiant ces spécimens, on s’est aperçu qu’il n’y avait toujours pas d’ouvertures, pas de canaux… ça n’avait pas l’organisation d’une éponge. On a essayé de voir comment elle se nourrissait et on a vu qu’elle piégeait les crustacés pour s’en nourrir, grâce à ces filaments.</p>
<p>Depuis les efforts de recherches se sont multipliés pour en trouver d’autres ; par des campagnes à grandes profondeurs avec des sous-marins, des engins téléguidés. Tout cela en a révélé de nombreuses autres espèces, en particulier dans le Pacifique.</p>
<p>Une autre surprise c’est qu’à chaque fois qu’on remonte une de ces espèces, de plusieurs milliers de mètres, il s’agit d’une espèce inconnue. La diversité dans ces grands fonds est inattendue et remarquable.</p>
<p><em>Vous avez mentionné que les éponges « non-carnivores » se nourrissaient en filtrant l’eau alentour. Mais qu’elles soient carnivores ou non, comment assimilent-elles la nourriture ? Y a-t-il une différence entre les deux ?</em></p>
<figure class="pull-right">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/8e/Esponjas_alimentacion.jpg">
<img src="/images/le-mordant-des-eponges-carnivores/small_Esponjas_alimentacion.jpg" alt="Cycle d'alimentation d'une éponge." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Esponjas_alimentacion.jpg" title="Alimentation par filtration de l'eau. Par X. Vázquez.">Alimentation par filtration de l'eau.<br />Par X. Vázquez.</a></figcaption>
</figure>
<p>Elles filtrent l’eau grâce à des cellules flagellées qui ont un flagelle et une petite collerette de <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Microvillosit%C3%A9" title="Assemblage de poils couchés, membraneux et mous.">microvillosité</a>. Le flagelle fait passer l’eau dans ce petit filtre qui piège les bactéries. Ensuite, les bactéries sont <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Phagocyte" title="Processus d'englobement et de digestion par une cellule, de particules solides ou d'autres cellules qu'elle trouve dans son milieu.">phagocytées</a> et digérées intracellulairement. C’est un problème intéressant chez les éponges carnivores, car elles sont capables de piéger des grandes proies et de les digérer, sans tube digestif. Il n’y a pas de cavité digestive, pas d’estomac, pas d’intestin. C’est simplement chaque cellule qui vient, une fois la proie englobée, se nourrir individuellement en arrachant un petit morceau pour le digérer intracellulairement. Phénomène unique dans le monde animal.</p>
<p><em>Finalement, qu’est-ce qu’une éponge ?</em></p>
<figure class="pull-left">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c9/Venus_Flower_Basket.jpg">
<img src="/images/le-mordant-des-eponges-carnivores/small_Venus_Flower_Basket.jpg" alt="Groupe d'éponges cylindriques ressemblant à des vases." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Venus_Flower_Basket.jpg" title="Euplectella aspergillum, espèce d'éponge siliceuse des eaux profondes. National Oceanic and Atmospheric Administration.">Euplectella aspergillum, éponges siliceuses.<br />National Oceanic and Atmospheric Administration.</a></figcaption>
</figure>
<p>Il existe quatre grands groupes d’éponges, caractérisés par leur organisation cellulaire mais surtout par leur squelette. Le squelette calcaire ou siliceux, quand il existe, est constitué de spicules. Les éponges carnivores ont un squelette siliceux. Donc il y a une classification mais chez toutes les éponges, sauf les carnivores, il y a un système de circulation et de filtration de l’eau ; système abandonné par les éponges carnivores. Cela peut s’expliquer par le faible nombre de bactéries en grandes profondeurs. L’eau qu’elles filtrent est très pauvre, il faudrait donc dépenser pas mal d’énergie pour la filtrer et obtenir peu de nourriture en retour. Ce système convient jusqu’à quelques centaines de mètres (on connaît des éponges filtreuses jusqu’à 6000 mètres) mais, à partir de 2000 mètres, il est probablement plus « rentable » d’être à l’affût, de ne pas bouger, de ne pas dépenser d’énergie et d’attraper une proie quand elle passe. Ce comportement permet aux éponges carnivores d’aller plus profond. L’éponge la plus profonde qu’on connaisse, vit à près de 9000 mètres et elle est carnivore. Les éponges non-carnivores ne dépassent pas 6000 à 7000 mètres.</p>
<p><em>Est-ce que d’autres espèces se nourrissent de la même manière que les éponges carnivores ?</em></p>
<figure class="pull-right">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/27/2085f_Japon_Hatoma.jpg">
<img src="/images/le-mordant-des-eponges-carnivores/small_2085f_Japon_Hatoma.jpg" alt="" /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:2085f_Japon_Hatoma.jpg" title="Foraminifère « Star sand » de l'île d'Hatoma au Japon. Par Psammophile.">Foraminifère de l'île d'Hatoma.<br />Par Psammophile.</a></figcaption>
</figure>
<p>On n’en connaît pas. Il y a des foraminifères mais qui sont des êtres unicellulaires contrairement à l’éponge qui est pluricellulaire. Ils se nourrissent en capturant des petites proies, comme des bactéries, et en les digérant à l’intérieur de la cellule.</p>
<p><em>Le Docteur Jean Vecelet est Chercheur au laboratoire <a href="//www.com.univ-mrs.fr/DIMAR/">Diversité, évolution et écologie fonctionnelle marine</a> de l’Université de la Méditerranée, Aix-Marseille II.</em></p>
<p><em>Un article co-signé avec le Docteur Michelle Kelly de l’Institut national de l’Eau et de l’Atmosphère (NIWA) en Nouvelle-Zélande, est à paraître dans la revue Hydrobiologia.</em></p>
<p><a href="https://aufildusavoir.fr/articles/le-mordant-des-eponges-carnivores/">Le mordant des éponges carnivores</a> publié par Pierre Buard sur <a href="http://aufildusavoir.fr">Au fil du savoir</a> le April 15, 2011.</p>
https://aufildusavoir.fr/articles/des-volcans-au-sommeil-agite2011-04-11T00:00:00+02:002011-04-11T00:00:00+02:00Pierre Buardhttp://aufildusavoir.fr
<p>On a tous vu un volcan. Qu’ils soient endormis sur l’axe nord-sud partant du massif central à la méditerranée, actifs en Guadeloupe, Martinique, Polynésie française et à la Réunion ou encore l’Etna en Italie.</p>
<p>Mais sait-on vraiment ce qui se passe dans leurs entrailles ? Doit-on s’attendre à des surprises ?</p>
<p>Un début de réponse est proposé par les Drs. Bergantz et Burgisser en développant un modèle théorique, qui permet d’orienter les efforts à faire, pour mieux comprendre le processus éruptif.</p>
<p>Avec le Dr. Alain Burgisser de l’<a href="//www.isto.cnrs-orleans.fr/">Institut des Sciences de la Terre d’Orléans</a>.</p>
<p><strong>Écouter « Des volcans au sommeil agité »</strong> \</p>
<audio src="/podcasts/afds_20110411.mp3" controls="" preload="none"></audio>
<p><br />
<em><a href="/podcasts/afds_20110411.mp3">Télécharger « Des volcans au sommeil agité » au format MP3</a>.</em></p>
<h2 id="transcription">Transcription</h2>
<p><em>Commençons par les bases : décrivez-moi l’anatomie d’un volcan.</em></p>
<figure class="pull-right">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/fa/Structure_volcano-fr.svg/1280px-Structure_volcano-fr.svg.png">
<img src="/images/des-volcans-au-sommeil-agite/small_Structure_volcano-fr.png" alt="Vue d'un volcan en coupe." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Structure_volcano-fr.svg" title="Structure d’un volcan. Par William Crochot.">Structure d’un volcan.<br />Par William Crochot.</a></figcaption>
</figure>
<p>Un volcan est un édifice qui fait parfois plusieurs kilomètres de hauteur mais surtout, c’est un édifice qui est alimenté par ce qu’on appelle une chambre magmatique, c’est-à-dire un réservoir de lave, qui se trouve à plusieurs kilomètres sous le volcan. C’est ce réservoir de lave qui alimente le volcan et qui permet les éruptions.</p>
<p><em>D’où vient le combustible, le magma ?</em></p>
<p>Ce réservoir est rempli de lave. La lave elle-même vient d’une partie qui est beaucoup plus profonde dans la Terre qu’on appelle le manteau, situé à plusieurs dizaines de kilomètres sous la surface de la Terre. C’est ce manteau, riche en lave extrêmement chaude, qui vient tranquillement alimenter ce réservoir de lave qui se trouve à mi-profondeur entre le manteau et la surface. Et c’est de là que tout le cycle d’un volcan peut se définir : il s’agit d’apporter du magma depuis le manteau jusqu’à la surface de la Terre.</p>
<p><em>À quel comportement de la part des volcans s’attendait-on avant vos travaux ?</em></p>
<figure class="pull-left">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f1/Aa_large.jpg">
<img src="/images/des-volcans-au-sommeil-agite/small_Aa_large.jpg" alt="Coulée de lave aa se refroidissant." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Aa_large.jpg" title="Coulée de lave aa. U.S. Geological Survey.">Coulée de lave aa.<br />U.S. Geological Survey.</a></figcaption>
</figure>
<p>Nos travaux sont partis d’une idée assez simple : que se passe-t-il quand un volcan s’endort et qu’est-ce qui permet de le réveiller ? Un volcan s’endort quand cette lave, qui se trouve à plusieurs dizaines de kilomètres sous le volcan, dans le réservoir, devient essentiellement très froide, très visqueuse. Elle forme une espèce de pâte très visqueuse qu’il est difficile de faire bouger. C’est une des raisons pour laquelle un volcan s’endort. Nos travaux se sont intéressés à ce processus d’éveil d’un volcan : comment faire pour que cette pâte, extrêmement visqueuse, qui ne bouge pas, se mette à devenir mobile et permette une éruption ?</p>
<p>Les anciennes vues sur ce problème mentionnaient que la lave qui revient du manteau remonte jusqu’à cette chambre magmatique et réveille le volcan. Comment le réveillait-elle ? C’est assez simple, il s’agit de réchauffer cette pâte lentement, très lentement puisque très visqueuse, et ce processus prenait plusieurs dizaines, centaines, voir plusieurs milliers d’années. Donc un processus extrêmement lent. On appelle cela du réchauffement par conduction. Conduction de chaleur, c’est-à-dire qu’on vient mettre un genre de four en dessous du réservoir magmatique et, tranquillement, la lave qu’il contient se met à se réchauffer en restant immobile. Ce processus très lent permettait d’imaginer qu’un volcan avait besoin, pour se réveiller, d’un apport de beaucoup de nouvelle lave et ce n’était qu’après un processus de conduction que le volcan était en capacité de se réveiller. Puisque la lave s’était réchauffée, elle devenait relativement fluide et donc prête à bouger.</p>
<p>De notre côté, nous somme partis sur nos recherches en étudiant la mécanique de cette matrice. La lave est un matériau complexe et réchauffer la lave provoque des changements dans son comportement qui sont loin d’être facile à comprendre. On a eu besoin d’expériences. On est parti sur les résultats expérimentaux de nos collègues qui eux ont réchauffé de la lave en laboratoire et se sont rendus compte que deux choses se produisaient :</p>
<ol>
<li>d’une part, elle devient de moins en moins visqueuse, donc de plus en plus fluide. Ce processus se passe par étapes. On réchauffe peu à peu de la lave, sa viscosité ne change pas et, tout à coup, la lave devient extrêmement visqueuse. Ce processus pourrait s’apparenter au réchauffement d’une fondue savoyarde : à un moment donné, le fromage se sépare du vin. Le vin est très liquide alors que le fromage fondu est très visqueux, il n’a pas envi de bouger. La lave est à peu près pareille, elle passe par une transition de très visqueux à très fluide.</li>
<li>Second élément, elle devient de plus en plus légère. Ça, c’est comme les fluides habituels. L’eau, par exemple, qui, réchauffée, devient de plus en plus légère.</li>
</ol>
<p>C’est la combinaison de ces deux choses que nous avons réunis dans un modèle mathématique qui nous a permis de réaliser que le réservoir magmatique, réchauffé et très visqueux, se comporter de manière convective. À partir d’un moment donné, la lave plus légère, moins visqueuse, était capable de retourner l’entièreté de la chambre magmatique. C’est ce mouvement de convection, extrêmement rapide, qui permet de réveiller une chambre non pas en plusieurs centaines ou milliers d’années, comme on le pensait auparavant, mais en quelques mois, voir quelques années. Donc un processus beaucoup plus rapide que ce qu’on imaginait auparavant.</p>
<p><em>Une petite parenthèse, comment fait-on pour réchauffer de la lave en laboratoire ?</em></p>
<figure class="pull-right">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/8b/Clabecq_JPG01.jpg">
<img src="/images/des-volcans-au-sommeil-agite/small_Clabecq_JPG01.jpg" alt="Ouvrier devant un haut fourneau en fonction." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Clabecq_JPG01.jpg" title="Coulée continue dans l’ancien haut-fourneau de Clabecq (Belgique). Par Jean-Pol Grandmont.">Coulée continue dans un haut-fourneau.<br />Par Jean-Pol Grandmont.</a></figcaption>
</figure>
<p>On la met dans un four ! Un four qui ressemble aux hauts-fourneaux dans lesquels on fait fondre du métal, par exemple, pour fabriquer des objets. On a ce même type de fours sur lesquels on a adapté des systèmes de hautes pressions. La lave se trouvant à des dizaines de kilomètres de profondeur, cela représente des pressions énormes de plusieurs milliers d’atmosphère. Ces fours à haute-pression nous permettent de prendre des petits volumes de lave de quelques centimètres (de la taille d’un crayon ou d’une gomme), pour les réchauffer et expérimenter dessus.</p>
<p><em>Ce modèle que vous avez développé, s’applique-t-il à tous les types de volcans ?</em></p>
<figure class="pull-left">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/73/Pyroclastic_flows_at_Mayon_Volcano.jpg">
<img src="/images/des-volcans-au-sommeil-agite/small_Pyroclastic_flows_at_Mayon_Volcano.jpg" alt="Volcan disparaissant sous un nuage de cendres." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Pyroclastic_flows_at_Mayon_Volcano.jpg" title="Nuées ardentes dévalant les flancs du Mayon aux Philippines en 1984. Par C.G. Newhall, U.S. Geological Survey.">Nuées ardentes dévalant les flancs du Mayon.<br />Par C.G. Newhall, U.S. Geological Survey.</a></figcaption>
</figure>
<p>Il s’applique à la plupart des volcans qu’on qualifie d’explosifs. Dans ces cas là on a une lave extrêmement visqueuse, une pâte qui répond bien aux critères que nous avons utilisés dans le modèle mathématique.
Le modèle, par exemple, ne s’appliquerait pas aux volcans qui alimentent les rides médio-océaniques. À ces endroits là, la lave est très peu visqueuse. Cela inclut les volcans comme ceux d’Hawaï qui sont pratiquement en activité continue et où la lave ne se fige pas de la même manière. Notre modèle s’applique à la plupart des volcans qui provoquent des dégâts par explosions.</p>
<p><em>Avez-vous pu tester ce modèle ?</em></p>
<figure class="pull-right">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/9c/Pinatubo_early_eruption_1991.jpg">
<img src="/images/des-volcans-au-sommeil-agite/small_Pinatubo_early_eruption_1991.jpg" alt="Nuage de cendre s’échappant du cratère du volcan." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Pinatubo_early_eruption_1991.jpg" title="Vue aérienne d’une des premières explosions dans le cratère sommital du Pinatubo. Par T. J. Casadevall, U.S. Geological Survey.">Vue aérienne d’une explosion du Pinatubo.<br />Par T. J. Casadevall, U.S. Geological Survey.</a></figcaption>
</figure>
<p>On l’a testé mais uniquement à posteriori. On a pris deux éruptions de deux volcans. Le premier est le mont Pinatubo qui a fait éruption en 1991. La deuxième plus grande éruption du XXe siècle. On a pris toutes les données qu’on a pu récupérer sur cette éruption. Une des donnée absolument fondamentale est le type de lave sortie. Après l’éruption, les gens qui sont allés récupérer les débris de lave sorties du volcan, ont pu faire des analyses dessus et nous ont donné des indications précieuses qui nous ont permis de déterminer les caractéristiques de ce volcan.</p>
<p>Deux mois avant l’éruption de 1991, les scientifiques qui travaillaient là-bas à l’époque, ont récupérés un certain nombre de signaux sismiques indicateurs de l’arrivée de lave fraîche. Donc ce que l’on sait sur ce volcan, c’est qu’il a fallut environ deux mois pour passer d’une chambre magmatique figée à une suffisamment mobile pour permettre une éruption. La théorie classique, prédisait 500 ans pour réussir à réchauffer cette lave. Notre modèle, une fois appliqué, prévoyait entre 20 et 80 jours. Cela correspond relativement bien à l’observation faite de deux mois.</p>
<figure class="pull-left">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/68/Soufriere_Hills.jpg">
<img src="/images/des-volcans-au-sommeil-agite/small_Soufriere_Hills.jpg" alt="Le volcan de la Soufrière sur un lit de verdure." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Soufriere_Hills.jpg" title="La Soufrière de Montserrat. Par Patrick Smith.">La Soufrière de Montserrat.<br />Par Patrick Smith.</a></figcaption>
</figure>
<p>Confiants, nous avons appliqué ce modèle à un autre volcan : la Soufrière de Montserrat. Dont la dernière éruption commencée en 1995-1996 est encore en cours. Là aussi, la théorie prédisait plusieurs centaines d’années. En réalité, le volcan s’est réveillé en une année et notre modèle prédisait des durées équivalentes.</p>
<p><em>Ce modèle a-t-il des aspects prédictifs ? Est-ce que vous pourriez réévaluer la dangerosité d’autres volcans ?</em></p>
<p>On aurait aimé mais cela reste difficile pour deux raisons :</p>
<ul>
<li>réveiller une chambre magmatique est une condition nécessaire mais pas suffisante pour obtenir une éruption. Ce n’est pas parce que la chambre est réveillée et mobile que forcément le volcan entrera en éruption. Il manque un certain nombre de choses. Par exemple, mettre la chambre magmatique sous-pression. Cela peut s’apparenter trivialement au réveil qui sonne le matin mais qui ne veut pas dire que l’on va sortir du lit.</li>
<li>d’autre part, il nous faudrait ces indications précieuses qu’on a pu récupérer à Pinatubo. Notamment le type de lave se trouvant dans les profondeurs ; la possibilité de prédiction repose là-dessus. C’est une tâche difficile puisque la lave se trouve à des dizaines de kilomètres de profondeurs.</li>
</ul>
<p><em>Est-ce que ce modèle peut s’appliquer à autre chose que du magma ?</em></p>
<figure class="pull-right">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/28/Salt_-_close-up.jpg">
<img src="/images/des-volcans-au-sommeil-agite/small_Salt_-_close-up.jpg" alt="Morceaux de sel cristallisé." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Salt_-_close-up.jpg" title="Cristaux de sel en gros plan. Par André Karwath.">Cristaux de sel en gros plan.<br />Par André Karwath.</a></figcaption>
</figure>
<p>Sans doute mais il faudrait que le matériau corresponde aux caractéristiques d’une lave. Notamment le fait que la lave refroidie passe d’un état liquide à un état solide en formant des cristaux. Tout matériaux qui cristallise pourrait avoir une application pour ce modèle. Cela pourrait être des cristaux de sel dans un liquide… La présence de cristaux dans l’objet auquel appliquer ce modèle est fondamentale.</p>
<figure class="pull-left">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/4b/Mont_Blanc_depuis_Valmorel_2.jpg">
<img src="/images/des-volcans-au-sommeil-agite/small_Mont_Blanc_depuis_Valmorel_2.jpg" alt="Le Mont Blanc enneigé." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Mont_Blanc_depuis_Valmorel_2.jpg" title="Face sud du Mont Blanc vu depuis Valmorel. Par Matthieu Riegler.">Face sud du Mont Blanc vu depuis Valmorel.<br />Par Matthieu Riegler.</a></figcaption>
</figure>
<p>Dans un autre domaine que la volcanologie, ce modèle a un intérêt pour ceux qui s’occupent de la formation des montagnes. Notamment des montagnes granitiques, comme le Mont Blanc. La formation de ces montagnes répond à certaines règles proches de celle des volcans. On pense que ces montagnes sont formées de chambres magmatiques gelées n’ayant pas eu la « chance » de faire éruption et remontées progressivement des profondeurs par l’action des forces tectoniques. Je pense que nos résultats peuvent lier davantage ce qu’on observe sur les volcans et sur les massifs granitiques du type du Mont Blanc.</p>
<p><em>Quelle est l’étape suivante après avoir développé ce modèle ?</em></p>
<p>Le modèle pointe du doigt les véritables caractéristiques contrôlant le réveil d’une chambre magmatique. Nous manquons encore de précisions concernant la viscosité. On a encore de fortes erreurs sur l’estimation de la viscosité d’un magma. Cela encourage donc plus d’expériences afin d’obtenir des lois de viscosité encore plus précises. Cela pourra aussi encourager d’autres communautés comme les géophysiciens (dont le travail consiste à interpréter les signaux de la Terre) qui utilisent ces signaux pour essayer de déterminer les caractéristiques des chambres magmatiques : leurs profondeurs et leurs teneurs en cristaux. Les cristaux sont essentiels à l’estimation d’une viscosité.
Il existe des méthodes développées actuellement, notamment basées sur les ondes sismiques et les champs électriques, permettant de relier un signal observé sur un volcan avec un potentiel de cristallinité, de type de lave et de chambre magmatique.
Ce modèle met donc l’accent sur ces deux choses sur lesquelles nous pouvons continuer de travailler.</p>
<p><em>Le Docteur Alain Burgisser est chargé de recherche à l’<a href="//www.isto.cnrs-orleans.fr/">Institut des Sciences de la Terre d’Orléans</a>.</em></p>
<p><em>Le modèle théorique, réalisé en collaboration avec le Professeur Georges Bergantz de l’Université de Washington, a été publié dans le journal Nature (DOI : <a href="//dx.doi.org/10.1038/nature09799" title="A rapid mechanism to remobilize and homogenize highly crystalline magma bodies.">10.1038/nature09799</a>)</em></p>
<blockquote>
<p>« Mon esprit n’est qu’un magma bouillonnant de pensées scintillantes et d’idées turgides. » <br />
Sam and Max Hit the Road</p>
</blockquote>
<p><a href="https://aufildusavoir.fr/articles/des-volcans-au-sommeil-agite/">Des volcans au sommeil agité</a> publié par Pierre Buard sur <a href="http://aufildusavoir.fr">Au fil du savoir</a> le April 11, 2011.</p>
https://aufildusavoir.fr/articles/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace2011-03-11T00:00:00+01:002011-03-11T00:00:00+01:00Pierre Buardhttp://aufildusavoir.fr
<p>De 1618 à 1648 une série de conflits armés aux causes multiples, vont déchirer l’Europe. Cette période verra d’innombrables exactions qui marqueront durablement les populations et laissera certaines régions de l’Europe totalement dévastées. Et les traités qui la suivront vont instaurer un nouvel équilibre des forces en présence et préfigurer l’Europe d’aujourd’hui.</p>
<p>Pour parler de ces événements et de leurs impacts sur l’Alsace, le Professeur Georges Bischoff, directeur de l’<a href="//ea3400.unistra.fr/">Institut d’Histoire du Moyen-Âge</a> à l’<a href="//www.unistra.fr/">Université de Strasbourg</a>.</p>
<p><strong>Écouter « La Guerre de Trente Ans en Alsace »</strong> \</p>
<audio src="/podcasts/guerre-trente-ans-alsace.mp3" controls="" preload="none"></audio>
<p><br />
<em><a href="/podcasts/guerre-trente-ans-alsace.mp3">Télécharger « La Guerre de Trente Ans en Alsace » au format MP3</a>.</em></p>
<p>Lectures recommandées :</p>
<ul>
<li><a href="//www.amazon.fr/AVENTURES-SIMPLICISSIMUS-Hans-Jacob-Grimmelshausen/dp/2213024324?SubscriptionId=AKIAIYV7X6XV3BIJJFNA&tag=aufildusavo-21">Les aventures de Simplicissimus</a>, première traduction intégrale et notes de Jean Amsler, préface de Pascal Quignard, Fayard, 1990, ISBN 2-213-02432-4</li>
<li><a href="//www.amazon.fr/Lhistoire-toute-vie-Autobiographie-calviniste/dp/2745320297?SubscriptionId=AKIAIYV7X6XV3BIJJFNA&tag=aufildusavo-21">L’histoire de toute ma vie – Autobiographie d’un potier d’étain calviniste du XVIIe siècle</a>, traduit de l’allemand par Monique Debus Kehr, préface de Jacques Revel, Honoré Champion, 2010, ISBN 2-745-32029-7</li>
<li><a href="//www.amazon.fr/La-guerre-paysans-Georges-Bischoff/dp/2716507554?SubscriptionId=AKIAIYV7X6XV3BIJJFNA&tag=aufildusavo-21">La Guerre des Paysans</a>, Georges Bischoff, La Nuée bleue, 2010, ISBN 2-716-50755-4</li>
</ul>
<h2 id="transcription">Transcription</h2>
<ul id="markdown-toc">
<li><a href="#prsentation" id="markdown-toc-prsentation">Présentation</a></li>
<li><a href="#confrence-du-pr-bischoff" id="markdown-toc-confrence-du-pr-bischoff">Conférence du Pr. Bischoff</a> <ul>
<li><a href="#introduction" id="markdown-toc-introduction">Introduction</a></li>
<li><a href="#contexte" id="markdown-toc-contexte">Contexte</a></li>
<li><a href="#le-casus-belli" id="markdown-toc-le-casus-belli">Le casus belli</a></li>
<li><a href="#tat-de-lempire" id="markdown-toc-tat-de-lempire">État de l’Empire</a></li>
<li><a href="#la-guerre" id="markdown-toc-la-guerre">La guerre</a> <ul>
<li><a href="#la-priode-palatine-1618-1625" id="markdown-toc-la-priode-palatine-1618-1625">La période palatine (1618-1625)</a></li>
<li><a href="#lintervention-danoise-1625-1629" id="markdown-toc-lintervention-danoise-1625-1629">L’intervention danoise (1625-1629)</a></li>
<li><a href="#lintervention-sudoise-1630-1635" id="markdown-toc-lintervention-sudoise-1630-1635">L’intervention suédoise (1630-1635)</a></li>
<li><a href="#lintervention-franaise-1635-1648" id="markdown-toc-lintervention-franaise-1635-1648">L’intervention française (1635-1648)</a></li>
<li><a href="#limpact-de-la-guerre-sur-les-populations" id="markdown-toc-limpact-de-la-guerre-sur-les-populations">L’impact de la guerre sur les populations</a></li>
<li><a href="#les-traits-de-paix-de-westphalie-1648" id="markdown-toc-les-traits-de-paix-de-westphalie-1648">Les traités de paix de Westphalie (1648)</a></li>
</ul>
</li>
<li><a href="#conclusion" id="markdown-toc-conclusion">Conclusion</a></li>
</ul>
</li>
<li><a href="#questions-du-public" id="markdown-toc-questions-du-public">Questions du public</a></li>
<li><a href="#remerciements" id="markdown-toc-remerciements">Remerciements</a></li>
</ul>
<h3 id="prsentation">Présentation</h3>
<p>Il faut savoir qu’au fil du XVIIe siècle, l’Alsace était émiettée et sans identité, composée de nombreuses seigneuries et villes libres alliées au Saint Empire Romain Germanique. Arrivera la Guerre de Trente Ans, conflit religieux et politique entre défenseurs de la foi catholique et réformateurs protestants, avec son lot de pillages, massacres et autres exactions qui élimineront une grande partie de la population et en fera fuir beaucoup d’autres. Ces violences seront commises aussi bien par des troupes étrangères venant des quatre coins de l’Europe que par les milices locales. À l’issu de ce conflit, l’Alsace dévastée sera en grande partie unie et soumise à la couronne de France qui laissera à la région une grande autonomie pour des raisons stratégiques et politique.</p>
<h3 id="confrence-du-pr-bischoff">Conférence du Pr. Bischoff</h3>
<h4 id="introduction">Introduction</h4>
<p>Je suis très heureux d’être parmi vous ce soir, pour vous proposer un sujet qui, somme toute, est plutôt difficile. Il s’agit, en effet, de vous présenter des événements qui ont duré une génération ; à la fois fondateurs et actuels. Il y a eu un avant et un après la Guerre de Trente Ans.</p>
<p>Actuel, pourquoi ? Parce que cette histoire d’un conflit qui s’est passé il y a 350 ans et plus, nous renvoie à de l’actualité. Des guerres de Trente Ans, il y en a aussi dans le monde actuel. Certaines durent depuis près de dix ans. Je pense à ce qui se passe en Afghanistan, vingt ans, en Irak, trente ou quarante ans, à ce qui s’est passé ou à ce qui peut toujours se passer en Israël, au Liban ou ailleurs. Autrement dit étudier des événements guerriers, des événements politiques, des événements humains très lointains reste quelque chose d’important pour nous, car cela nous permet de prendre la mesure, d’en retirer éventuellement des leçons, de voir comment on peut éviter des problèmes ou apporter des solutions aux situations de conflit.</p>
<p>La Guerre de Trente Ans est, au moins pour ceux qui détiennent une certaine mémoire familiale, un événement bien identifié, un événement repère. De part le nom donné à cette guerre mais aussi parce qu’elle fait appel à tout un imaginaire. Guerre de Trente Ans, en alsacien, se traduit par « Schwedenkrieg » : la guerre des Suédois. Voilà déjà quelque chose d’assez étrange : une guerre qui dure trente ans dont les protagonistes viennent de très loin.</p>
<p>Dans la petite ville où j’ai passé mon enfance, mon père avait une vigne dans un vignoble du Haut-Rhin et, sur un mur de grès de soutènement de la vigne voisine, il y avait une petite sculpture qui représentait une miche de pain (une baguette ou une bannette) et un petit pain. Qu’est-ce que cela peut signifier ? D’après la tradition orale rapportée par mon père, ça voulait dire que la vigne voisine de la nôtre était une vigne qui, pendant la Guerre de Trente Ans, la guerre des suédois, avait été échangée contre une miche de pain et contre un petit pain. Je ne sais pas si c’est vrai mais quand on ouvre des chroniques de cette époque on trouve de nombreux exemples qui vont dans ce sens. On trouve aussi en lisant les chroniques, des informations du genre : « ce village a été abandonné, il ne restait plus que huit ou dix habitants ». Je crois que c’est à Bouxwiller qu’il ne restait que huit familles pour une ville qui en comptait sans doute quelques centaines avant le conflit. Conflit dont je rappelle les dates : 1618-1648.</p>
<p>Un conflit très compliqué ressemblant à une guerre civile. Une guerre européenne qui se déroule essentiellement en Allemagne, dans les pays germaniques et à leurs marges, mais qui va impliquer tous les pays d’Europe y compris les plus exotiques. C’est la raison pour laquelle on a retenu, en particulier, le rôle très important des suédois. Une guerre qui va aussi aboutir à une recomposition de l’Europe. En effet, à l’issu de cette Guerre de Trente Ans, en 1648, des traités sont signés en <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9s_de_Westphalie" title="Traités de Westphalie">Westphalie</a> : à Münster et à Osnabrück. Selon les termes du <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_de_M%C3%BCnster_%28octobre_1648%29">traité de Münster</a>, une partie importante de l’Alsace devient française. Cela va avoir un rôle tout à fait important pour le destin de notre région.</p>
<p>Voici donc, en quelques mots, le sens général de ce que je vais dire des événements terribles avec des conséquences durables, mais aussi, je crois qu’il est important de se situer dans le temps et dans l’espace.</p>
<h4 id="contexte">Contexte</h4>
<p>Cette guerre commence à l’époque où règne en France <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Louis_XIII">Louis XIII</a> et où va bientôt arriver au pouvoir en 1643, <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Louis_XIV">Louis XIV</a>, qui n’est encore qu’un gamin et qui ne deviendra réellement Roi à titre personnel qu’à partir de 1661. Il aura en quelque sorte dans son berceau, un beau cadeau, une nouvelle province : l’Alsace.</p>
<figure class="half">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/99/LouisparDumonstier.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_LouisparDumonstier.jpg" alt="Portrait du monarque." /></a>
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/71/Louis_XIV_1648_Henri_Testelin.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Louis_XIV_1648_Henri_Testelin.jpg" alt="Tableau du jeune monarque en costume de sacre." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:LouisparDumonstier.jpg" title="Louis XIII en 1622. Par Daniel Dumonstier, Base Joconde.">Louis XIII en 1622 par Daniel Dumonstier</a> et <a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Louis_XIV_1648_Henri_Testelin.jpg" title="Louis XIV en 1648. Par Henri Testelin, Base Joconde.">Louis XIV en 1648 par Henri Testelin</a><br />Base Joconde.</figcaption>
</figure>
<p>C’est une série d’événements qui a, par exemple, pour contemporains les peintres <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Paul_Rubens" title="Pierre Paul Rubens">Rubens</a>, <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Rembrandt" title="Rembrandt Harmenszoon van Rijn">Rembrandt</a>, <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Diego_V%C3%A9lasquez" title="Diego Rodríguez de Silva y Velázquez">Vélasquez</a> en Espagne ou encore les dramaturges <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Corneille" title="Pierre Corneille">Corneille</a>, <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Moli%C3%A8re" title="Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière">Molière</a>, <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/William_Shakespeare" title="William Shakespeare">Shakespeare</a> tout au début et bien d’autres encore.</p>
<p>Cette guerre a ceci de remarquable qu’elle partage des caractéristiques avec les guerres modernes. Rappelez-vous en 1991, lors de la guerre qui a été l’un des grands déclencheurs de la situation dans laquelle nous sommes toujours actuellement : la guerre d’Irak. Elle nous a paru être une guerre propre, une guerre qui ressemblait à un jeu vidéo. Pourquoi ? Parce qu’elle nous était communiquée par les médias en tant réel sur nos petits écrans, un peu comme si nous étions devant notre ordinateur en train de faire un jeu vidéo.</p>
<figure class="pull-right">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/61/Relation_Aller_Fuernemmen_und_gedenckwuerdigen_Historien_%281609%29.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Relation_Aller_Fuernemmen_und_gedenckwuerdigen_Historien_(1609).jpg" alt="Une de journal." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Relation_Aller_Fuernemmen_und_gedenckwuerdigen_Historien_%281609%29.jpg" title="Frontispice de « Relation aller Fürnemmen und gedenckwürdigen Historien » (Communication de toutes les histoires importantes et mémorables), 1609. Universitätsbibliothek Heidelberg.">Frontispice de « Relation »<br />Universitätsbibliothek Heidelberg.</a></figcaption>
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<p>Je vous dirai que la Guerre de Trente Ans est une guerre presque en vidéo, en image, en son et lumière. C’est la première guerre qui ait été couverte pratiquement en tant réel par la presse, ce qui est une nouveauté tout à fait essentielle. Je vous présente, sur cette image, le tout premier journal hebdomadaire paru au monde. Il apparut à partir de 1605 à Strasbourg sous le nom de Relation, la relation de tous les événements, créé par un strasbourgeois : <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Johann_Carolus">Johann Carolus</a>. Mais le grand propagateur de nouvelles de cette guerre est le journal fondé en 1630 sous le patronage du Cardinal de Richelieu : la « <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/La_Gazette_%28France%29">Gazette de France</a> » de <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9ophraste_Renaudot">Théophraste Renaudot</a> qui couvre pratiquement l’essentiel des événements, du début jusqu’à la fin. Une guerre médiatique est quelque chose de très important à l’heure actuelle. C’est en grande partie la presse qui façonne l’opinion et qui par conséquent, par militantisme crée des conditions de mobilisation des hommes et des femmes.</p>
<p>Je parlerai de quelques-uns des acteurs de cette guerre, je rappellerai cependant que c’est une guerre qui débute dans l’Empire. L’Empire est une vaste confédération qui regroupe l’Allemagne, l’Autriche, mais aussi un certain nombre de régions voisines et impliquant également d’autres régions proches, l’Italie, la Hongrie, le Danemark, etc.</p>
<p>Sur cette carte, vous avez en effet la région qui va être en grande partie le théâtre de cette guerre : pratiquement toute l’Europe telle qu’on la connaît (en gros la zone Euro). L’Angleterre n’y est pas en effet, mais l’Angleterre au même moment a eu une guerre civile qui va entraîner un grand changement avec l’arrivée au pouvoir de <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Oliver_Cromwell">Oliver Cromwell</a> et la fondation d’une république anglaise (qui n’a pas durée très longtemps mais qui a existé).</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7a/Habsburg_Map_1547.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Habsburg_Map_1547.jpg" alt="Carte d'europe de l'éclatement des possessions des Habsbourg." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Habsburg_Map_1547.jpg" title="Territoires européens de la Maison de Habsbourg (en vert) suite à la Bataille de Mühlberg en 1547. Par Sir Adolphus William Ward, G.W. Prothero et Sir Stanley Mordaunt Leathes.">Carte des possessions des Habsbourg en 1547.<br />Par Sir Adolphus William Ward, G.W. Prothero et Sir Stanley Mordaunt Leathes.</a></figcaption>
</figure>
<p>Ce <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Empire_romain_germanique">Saint-Empire romain germanique</a> qui va de l’Italie du nord à la Prusse, des Pays-Bas à l’Autriche et au Danube, est aux mains d’une famille régnante : la famille des <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Habsbourg">Habsbourg</a>. Les Habsbourg, dont la capitale est Vienne, en ont quelques autres telles que Prague mais aussi Madrid. Depuis le XVIe siècle, cette famille domine le monde, y compris le nouveau monde, et s’est divisée en deux branches : la branche allemande, établie à Vienne, et la branche espagnole, établie à Madrid, détenant de gros morceaux d’Italie, la Franche-Comté, la Flandre, la Belgique actuelle. Comme vous le voyez, le royaume de France, tel qu’il existe au XVIIe siècle, est entouré par l’Empire et par l’Espagne. Il est en quelque sorte « assiégé » par ces Habsbourg qui sont ses ennemis.</p>
<p>L’Empereur appartient à cette famille, à cette dynastie. Sa position n’est pas héréditaire, il est élu. Mais en réalité, l’hérédité existe et deux Empereurs vont régner pendant la période qui nous concerne. Ils s’appellent <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Ferdinand_II_du_Saint-Empire">Ferdinand II</a> et <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Ferdinand_III_de_Habsbourg">Ferdinand III</a>.</p>
<figure class="half">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/44/Georg_Pachmann_001.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Georg_Pachmann_001.jpg" alt="Le monarque debout." /></a>
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/aa/Frans_Luycx_002.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Frans_Luycx_002.jpg" alt="Portrait du monarque." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:LouisparDumonstier.jpg" title="Ferdinand II en 1635 par Georg Pachmann.">Ferdinand II en 1635 par Georg Pachmann</a> et <a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Frans_Luycx_002.jpg" title="Ferdinand III en 1637-1638 par Frans Luycx.">Ferdinand III en 1637-1638 par Frans Luycx</a>.</figcaption>
</figure>
<p>Les Habsbourg sont Ducs d’Autriche, Rois de Hongrie, Rois de Bohême et possèdent des terres très importantes, notamment en Alsace. Ils sont catholiques et une partie de leurs sujets sont protestants. C’est particulièrement le cas de la noblesse du royaume de Bohême dont la capitale est Prague.</p>
<h4 id="le-casus-belli">Le casus belli</h4>
<p>Les Habsbourg sont les fondateurs d’une monarchie puissante et centralisée, contrariant les intérêts de seigneurs locaux, d’habitants de villes et d’une partie de la population. Aussi en 1618, lors d’un problème de succession à la tête du royaume de Bohême, les habitants de Prague se révoltent contre les envoyés de Ferdinand II et les jettent par la fenêtre du château de Prague. C’est ce qu’on appelle la <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9fenestration_de_Prague_%281618%29">défenestration de Prague</a> qui a lieu le 23 mai 1618. Cet événement va être le point de départ d’hostilités entre les habitants du royaume de Bohême et la famille de Ferdinand II. Guerres à répétition, extrêmement complexes, dont l’enjeu est à la fois la tolérance religieuse par une guerre de religion, mais aussi la forme qu’exerce le pouvoir : pouvoir monarchique fort ou au contraire pouvoir partagé avec les puissances locales.</p>
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<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/Defenestration-prague-1618.jpg" alt="Gravure montrant 3 ambassadeurs malmenés et portés aux fenêtres." />
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Defenestration-prague-1618.jpg" title="La défenestration de Prague en 1618. Par Matthäus Merian l’Ancien.">La défenestration de Prague en 1618.<br />Par Matthäus Merian l’Ancien.</a></figcaption>
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<h4 id="tat-de-lempire">État de l’Empire</h4>
<p>Cet Empire du début du XVIIe siècle, contrairement à la France, n’est pas un État unifié. En effet cette grande masse qu’est l’Allemagne et le nord de l’Italie se divise en réalité, un peu comme un puzzle, en 350 petits états. Certains sont plus gros que d’autres : la Saxe, le Palatinat, la Bavière sont de très gros morceaux, la Lorraine aussi. D’autres au contraire sont microscopiques. En Alsace, par exemple, vous avez des principautés de poche : l’Abbesse d’Andlau est officiellement Princesse, le Comte de Salm sera Comte immédiat, c’est-à-dire qu’il aura les même prérogatives qu’un souverain, le Sire de Ribeaupierre à Ribeauvillé est pratiquement le maître chez lui, l’Abbé de Murbach possède une principauté de 270 km²… Je pourrais en citer des quantités invraisemblables.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/d6/Holy_Roman_Empire_1648_fr.svg/1280px-Holy_Roman_Empire_1648_fr.svg.png">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Holy_Roman_Empire_1648_fr.svg.png" alt="Carte, ressemblant à un puzzle, montrant le morcellement des territoires." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Holy_Roman_Empire_1648_fr.svg" title="Carte du Saint-Empire Romain Germanique en 1648, après les Traités de Westphalie. Par Astrokey44 & Tinodela.">Carte du Saint-Empire Romain Germanique en 1648.<br />Par Astrokey44 & Tinodela.</a></figcaption>
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<p>Donc cet Empire est éclaté en des quantités d’appartenances qui en 1555 ont adopté le système de la <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Paix_d%27Augsbourg">Paix d’Augsbourg</a> au terme duquel le Prince, le maître d’un territoire, impose sa religion à ses sujets. Par exemple : la vallée de la Bruche appartient à l’Évêque de Strasbourg qui est le Prince d’une principauté assez importante en basse Alsace. Tous les habitants de cette principauté seront donc obligatoirement catholiques. En revanche, la ville de Strasbourg, qui s’est débarrassée de son évêque depuis le XIIIe siècle, a adopté la <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9forme_protestante" title="Réforme protestante">Réforme</a> et est devenue une ville très puissante :</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/88/Absolute_Strasbourg_1644_Merian_01.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Absolute_Strasbourg_1644_Merian_01.jpg" alt="Ville entourée de douves et de fortifications en dents de scie." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Absolute_Strasbourg_1644_Merian_01.jpg" title="Plan de Strasbourg en 1644 selon Matthäus Merian. Par Jonathan M.">Plan de Strasbourg en 1644 selon Matthäus Merian.<br />Par Jonathan M.</a></figcaption>
</figure>
<p>Elle est organisée en république aristocratique et contrôle le plus important pont du Rhin de pratiquement toute l’Allemagne. Nous sommes en effet historiquement en Allemagne, c’est-à-dire dans les régions de langue germanique, car il n’y a pas d’état Allemand. La ville de Strasbourg a adopté la religion luthérienne, en revanche ses voisins sont catholiques. Cela provoque parfois des tensions et en particulier, entre 1584 et 1604, la <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_des_%C3%A9v%C3%AAques_%28Alsace%29">guerre des évêques</a>. Le diocèse de Strasbourg a deux évêques rivaux : un protestant, appuyé plus ou moins par les Strasbourgeois, et un catholique. L’évêque catholique est resté maître du territoire alors que l’évêque protestant était plutôt un prétexte pour affaiblir le catholique. Toujours est-il qu’on a un climat de tensions religieuses et politiques extrêmement graves. Cette « guerre des évêques » prit fin en 1604 à la suite d’une intervention d’arbitrage du roi de France, <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Henri_IV_%28roi_de_France%29">Henri IV</a>, qui avait tout intérêt à essayer de réconcilier les catholiques et les protestants contre son ennemi de l’époque : l’Empereur, qui était pour l’instant hors champ.</p>
<p>Puis, en 1607, Strasbourg a un nouvel évêque, un Archiduc d’Autriche de la famille impériale : les Habsbourg. Il s’appelle <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9opold_V_d%27Autriche-Tyrol">Léopold V</a> et vous le voyez ici en soutane en compagnie de <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Claude_de_M%C3%A9dicis" title="Claude de Médicis">sa femme</a>.</p>
<figure class="half">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b7/Joseph_Heintz_d._%C3%84._007.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Joseph_Heintz_d._Ä._007.jpg" alt="Êveque debout en soutane noire à liseré rouge." /></a>
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/05/Lorenzo_Lippi_002.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Lorenzo_Lippi_002.jpg" alt="Femme priant, épaule nu." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Joseph_Heintz_d._%C3%84._007.jpg" title="Léopold V d'Autriche-Tyrol en 1604 par Joseph Heintz l’Ancien.">Léopold V en 1604 par Joseph Heintz l’Ancien.</a> et <a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Lorenzo_Lippi_002.jpg" title="Claude de Médicis en 1646-1648 par Lorenzo Lippi.">Claude de Médicis en 1646-1648 par Lorenzo Lippi.</a>.</figcaption>
</figure>
<figure class="pull-right">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/90/France_Molsheim_Eglise_des_Jesuites_Armoiries_de_L%C3%A9opold_d%27Autriche_3.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_France_Molsheim_Eglise_des_Jesuites_Armoiries_de_Léopold_d'Autriche_3.jpg" alt="Armoiries en couleur entourée de frise bordées d'or." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:France_Molsheim_Eglise_des_Jesuites_Armoiries_de_L%C3%A9opold_d%27Autriche_3.jpg" title="Armoiries du duc sur la clé de voûte de la chapelle Saint-Ignace en l'église des Jésuites à Molsheim. Par Pethrus.">Armoiries du duc à Molsheim.<br />Par Pethrus.</a></figcaption>
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<p>Halte là ! Ça ne veut pas dire que cet évêque était marié en tant qu’évêque ! Ça veut simplement dire qu’à un certain moment il n’avait plus de frère susceptible de procréer et de transmettre l’hérédité de sa famille. Le Pape l’avait donc réduit à l’état laïc. Il s’est marié en 1626 avec une Princesse italienne : Claude de Médicis. Il est donc catholique et appartient à la famille régnante, la maison d’Autriche, ce qui va, au moins dans notre région, changer la donne. Sa capitale est Saverne, mais il réside souvent à Dachstein, Innsbruck ou ailleurs. La ville sur laquelle il s’appuie le plus fortement est Molsheim dont l’église est décorée d’un médaillon représentant ses armoiries. Y sont intégrées les couleurs de l’Autriche et celles de l’Alsace, car il est à la fois <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Grave_%28titre%29">landgrave</a> de Basse-Alsace (c’est un titre honorifique) et aussi, de par sa famille, <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Grave_%28titre%29">landgrave</a> de Haute-Alsace. C’est-à-dire le maître d’un territoire très important.</p>
<figure class="pull-left">
<a href="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/livet.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_livet.jpg" alt="Carte montrant le morcellement de l'Alsace et environs." title="L'Alsace en 1648, mosaïque territoriale et politique. Par Georges Livet." /></a>
<figcaption>La mosaïque alsacienne.<br />Par Georges Livet.</figcaption>
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<p>À Molsheim même, s’est établi au moment de la Réforme, un foyer extrêmement important de contre-Réforme, c’est-à-dire de lutte contre les hérétiques protestants, avec l’installation dans cette petite ville : d’un couvant de Jésuites, d’un collège de Jésuites et, mieux encore, en 1617, d’une Université dominée par les Jésuites. Et que font ces Jésuites ? Ils vont essayer de reconquérir les âmes, de lutter contre le protestantisme, d’éviter la contagion de la Réforme dans les campagnes. Autrement dit : contribuer au climat de reconquête spirituelle qui pourrait éventuellement avoir des conséquences politiques. Ces conséquences politiques se voient sur la configuration qu’a l’Alsace : quelque chose de très morcelé. Dans ce morcellement on trouve le bloc le plus important : les territoires appartenant à la Maison d’Autriche, aussi appelés « Autriche antérieure ». Ils s’étendent de la Haute-Alsace jusqu’à Belfort, la région du Brisgau et de la Forêt-Noire. C’est en quelque sorte un pont sur le Rhin. Ce territoire, le plus important sur le Rhin supérieur, a une importance stratégique énorme. Sa capitale est la petite ville d’Ensisheim :</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/84/Enszisheim.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Enszisheim.jpg" alt="Gravure de la ville avec ses doubles fortifications." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Enszisheim.jpg" title="Enszisheim par Matthäus Merian. Herzogin Anna Amalia Bibliothek.">Enszisheim par Matthäus Merian.<br />Herzogin Anna Amalia Bibliothek.</a></figcaption>
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<p>Mais aussi et surtout cette province autrichienne, bien organisée, a une grande influence politique en imposant son contrôle sur des seigneuries satellites. L’Abbé de Murbach, l’Abbé de Lure, le Sire de Ribeaupierre, le Val de Villé passe sous le contrôle de l’Autriche. Or, lorsque en 1607 Léopold V est élu évêque de Strasbourg, c’est un peu comme une O.P.A. d’une grosse multinationale sur une entreprise moins importante. Cela permet à l’Autriche de contrôler les terres de l’évêque de Strasbourg en Haute-Alsace autour de Rouffach, en Basse-Alsace autour de Molsheim, Saverne, dans le Kochersberg et sur la rive droite du Rhin du côté d’Oberkirch. Là aussi, c’est le point de départ d’une véritable annexion de l’Alsace par la maison d’Autriche.</p>
<p>Tout cela va inquiéter les Princes protestants comme le Sire de Hanau, la ville de Strasbourg, le Wurtemberg qui est proche et d’autres. Donc une sorte d’impérialisme autrichien dans la région qui a des conséquences encore plus graves : le retour du catholicisme. C’est aussi un jeu similaire à ceux des multinationales actuelles (elles s’échangent des morceaux d’entreprises avec un cynisme absolu). En 1617, comme on avait prévu que l’Archiduc d’Autriche, Léopold V, en tant qu’évêque n’aurait pas d’héritier (il n’était pas encore question qu’il se marie et qu’il procrée), la famille avait pris la décision importante suivante : « à la mort de Léopold V, nous ne garderons pas ses terres en les laissant à la branche allemande de la maison des Habsbourg, mais on va les donner à la branche espagnole ». Un traité secret fut conclu stipulant qu’à la mort de Léopold V, la Haute-Alsace serait donnée à l’Espagne.</p>
<p>L’Espagne qui possédait la Franche-Comté, le Luxembourg et la Belgique rend ce coup excellent pour les Habsbourg d’Espagne qui possèdent aussi la région de Milan. L’idée de faire une espèce de « banane bleue », une zone reliant les Pays-Bas aux autres possessions (c’est un peu le rêve de <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Schuman" title="Jean-Baptiste Nicolas Robert Schuman">Robert Schuman</a>) une sorte d’Europe sous la domination catholique et espagnole des Habsbourg. Ce projet existe, il n’a jamais été réalisé mais en tout cas il montre que des reclassements importants sont en cours.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7a/Habsburg_Map_1547.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Habsburg_Map_1547.jpg" alt="Carte d'europe de l'éclatement des possessions des Habsbourg." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Habsburg_Map_1547.jpg" title="Territoires européens de la Maison de Habsbourg (en vert) suite à la Bataille de Mühlberg en 1547. Par Sir Adolphus William Ward, G.W. Prothero et Sir Stanley Mordaunt Leathes.">Carte des possessions des Habsbourg en 1547.<br />Par Sir Adolphus William Ward, G.W. Prothero et Sir Stanley Mordaunt Leathes.</a></figcaption>
</figure>
<p>Enfin, cette Alsace-là, qui fait partie du Saint Empire Romain Germanique, morcelée, est quand même confrontée à un certain nombre de problèmes. Le premier se situe à l’Ouest depuis le XVème siècle : le roi de France manifeste une volonté d’expansion vers l’Est, vers le Rhin. Le Roi de France est en embuscade. Or entre le Roi de France et la vallée du Rhin, il y a le duché de Lorraine. Catholique, il fait partie de l’Empire, mais il est à peu près indépendant et tout ça va s’ajouter au climat de tension, car ont lieu en France les <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Guerres_de_religion_%28France%29">guerres de religion</a>. Or ce sont des guerres au cours desquelles les différents belligérants, catholiques ou protestants, ont continuellement fait appel à des mercenaires qui traversaient les Vosges pour aller se battre en France. Autrement dit ce massif vosgien est devenu une « passoire », menacé par des incursions de soldats et, en même temps, un enjeu : si le Duc de Lorraine est suffisamment puissant, il arrivera à bloquer l’entrée de mercenaires allemands en France. L’Alsace l’intéresse également puisqu’il y possède des terres pour lesquelles il a les mêmes idées que la maison d’Autriche en matière de rétablissement du catholicisme et d’organisation du pouvoir politique.</p>
<p>Alors ceci fait que notre région est aussi menacée par un voisinage proche : entre l’Alsace en partie protestante et la Lorraine catholique, entre la France, qui depuis Henri IV a adopté une paix de religion, et l’Empire, où les couteaux ne sont pas encore tirés mais presque. L’Alsace est prise en sandwich, dans une situation inquiétante. Au point qu’en Alsace même, les différentes puissances, qu’elles soient catholiques ou protestantes, essayent de s’organiser pour éviter le désordre. Cela va se manifester par une coopération des différents États alsaciens. Coopération, concertation, à la fois pour surveiller les routes et pour s’opposer aux passages de troupes. En particulier, les troupes qui viendraient de Lorraine dans la vallée du Rhin. Toujours est-il qu’on essaye de trouver des solutions qui permettent d’arbitrer d’éventuels conflits en Alsace à la veille de la Guerre de Trente Ans.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/83/Topographia_Alsatiae_%28Merian%29_p_020.JPG">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Topographia_Alsatiae_(Merian)_p_020.jpg" alt="Principaux batiments de la ville entourés de fortifications et de douves, avec routes et cours d'eaux." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Topographia_Alsatiae_%28Merian%29_p_020.JPG" title="Plan de Sélestat au XVIIe siècle par Matthäus Merian. Herzogin Anna Amalia Bibliothek.">Plan de Sélestat au XVIIe siècle par Matthäus Merian.<br />Herzogin Anna Amalia Bibliothek.</a></figcaption>
</figure>
<p>Vous avez ici une image représentant Sélestat. Nous verrons un certain nombre d’images comparables à celle-ci. Il y a en effet autour de 1630-1640, un grand éditeur, fixé à Francfort, qui s’appelle Merian. Originaire de Bâle, il travaillait à Strasbourg. Il va profiter de l’appétit médiatique des gens pour fabriquer des images. En particulier, l’Alsace aura droit en 1643, en pleine guerre, à un magnifique ouvrage touristique appelé la « <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Topographia_Germaniae">Topographia Alsatiae</a> » avec ces très belles vues de l’Alsace tel que celle de Sélestat faite en 1643, au moment où la guerre atteint son paroxysme. Les Vosges y sont hérissées de châteaux, dont certains ont été rénovés, mais aussi percées ou traversées par des vallées représentant autant de voies d’invasions extrêmement importantes pour aller d’Ouest en Est, ou inversement.</p>
<p>C’est en grande partie dans ce contexte que, depuis la fin du XVIe siècle, l’Alsace s’est militarisée. Par crainte de guerres extérieures ou de désordres locaux, les habitants de différentes seigneuries ont pris l’habitude de s’entraîner à faire la guerre : on a organisé des plans de défense et on a prévu des camps en temps de guerre. Par exemple, à la fin du XVIe siècle on avait prévu d’installer un camp près de Molsheim pour empêcher une invasion venue de Lorraine ou au contraire servir de relais aux Lorrains, si les Lorrains venaient au secours de l’Autriche. On a aussi à ce moment-là, restauré un certain nombre de châteaux-forts dans la même perspective. Autrement dit, l’Alsace du début du XVIIe siècle est hérissée de canons, d’arquebuses et de fortifications refaites. L’évêque de Strasbourg a refait Benfeld, Dachstein ou encore Saverne en partie. On pourrait citer beaucoup d’exemples qui vont dans se sens.</p>
<p>Un climat d’avant-guerre, dont les gens ont conscience (les guerres ne se produisent jamais toutes seules), exacerbé par une autre situation. À côté de ces rivalités politiques et confessionnelles nous sommes dans une période de crise économique qui fait suite à un puissant essor économique au XVIe siècle. Une crise économique qu’il est difficile d’expliquer, dont une grande partie des causes tient à l’inflation provoquée par l’arrivée de l’argent du Roi d’Espagne. Le Roi d’Espagne a en effet énormément d’argent venant de ses mines d’Amérique du Sud, exploitées d’une façon épouvantable. Cet argent circule, provoquant toutes sortes de crises financières et rendant très difficile les rêves de paix que, par exemple, des juristes ou des universitaires essayent de formuler. C’est le cas du juriste hollandais <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Hugo_Grotius">Hugo Grotius</a> qui essaye de fixer un droit de la guerre et de la paix. En réalité, la guerre qui va éclater en 1618 montrera que ce droit est foulé au pied et que les beaux intellectuels, qui se réfugient dans leurs bureaux à lire de beaux livres, ne vont pas apporter grand-chose au débat et sur le terrain. Les armes vont en effet bientôt parler.</p>
<h4 id="la-guerre">La guerre</h4>
<p>Cette guerre prend son départ en 1618, en Bohème, par une affaire interne. Cette affaire de révolte, c’est ce qui se passe à Tripoli en Lybie aujourd’hui. Une population, les Bohémiens, se révolte contre la domination des Habsbourg dont ils supposent, dont ils pensent, qu’ils sont susceptibles d’être des tirants. Cela va se solder par des batailles. Quand l’un remporte une victoire, il impose sa loi et quand il est battu, cherche des alliés ailleurs. C’est ce qui se passe : les habitants de la Bohème sont battus par l’armée impériale. Il y a des défections, je ne vais pas citer tous les généraux, il n’empêche que l’armée impériale sait très bien se battre. Les Protestants aussi mais enfin ils n’ont pas suffisamment de moyens et ils vont donc chercher des alliés.</p>
<h5 id="la-priode-palatine-1618-1625">La période palatine (1618-1625)</h5>
<figure class="pull-right">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/61/PeterErnstIIofMansfield02.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_PeterErnstIIofMansfield02.jpg" alt="Gravure en médaillon du portrait du général." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:PeterErnstIIofMansfield02.jpg" title="Peter Ernst II von Mansfeld.">Peter Ernst II von Mansfeld.</a></figcaption>
</figure>
<p>Le premier allié que vont chercher les Protestants est le Comte Palatin, c’est-à-dire le grand Prince dont la capitale est Heidelberg. Ils vont l’élire Roi de Bohème sous le nom de <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_V_du_Palatinat">Frédéric V</a> et, par conséquent, vont guerroyer sous sa bannière en 1618-1619. Le problème est que l’armée impériale est plus puissante et qu’elle va assez rapidement le chasser. Le conflit va donc se déplacer, entre autre dans la région qui est la nôtre, en 1621. En effet le principal chef de l’armée protestante s’est retiré au Palatinat. Ce chef s’appelle le <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Ernst_von_Mansfeld" title="Peter Ernst II von Mansfeld">Comte de Mansfeld</a> et il va essayer d’attaquer les impériaux, en particulier en Basse-Alsace. Il s’empare de Wissembourg et s’installe à Haguenau. Commencée en 1621, la guerre ne va pas durer très longtemps, à peu près un an en Alsace, après quoi les impériaux vont chasser l’armée de Mansfeld.</p>
<p>Alors en quoi est-ce que l’Alsace a une importance particulièrement grande par rapport aux autres régions ? Précisément parce que l’Alsace se trouve sur le couloir Nord-Sud qu’est la vallée du Rhin mais aussi parce que l’Alsace dispose de trois ponts franchissant le Rhin d’Est en Ouest. Un de ces trois ponts est celui de Bâle qui ne peut pas être utilisé parce que les suisses sont en dehors du conflit. Le deuxième est le pont de Brisach. C’est un pont absolument épatant parce qu’il relie les deux parties des terres autrichiennes et quand on franchit la Forêt-Noire après Freiburg im Breisgau, on arrive en direction du Danube. Autrement dit c’est une porte ouverte sur l’Europe centrale. Le pont de Brisach permet d’arriver dans la plaine d’Alsace à hauteur de Colmar-Sélestat et, par conséquent, permet des jonctions avec des troupes venues, par exemple, de Lorraine. Enfin l’Alsace a un rôle d’autant plus important que la Franche-Comté espagnole se trouve au Sud, en connexion avec la Savoie et le Milanais qui sont du même parti, impérial, ce qui en fait une plaque tournante pour la suite des opérations.</p>
<p>Je ne vais pas détailler tous les épisodes de ces opérations militaires, je voulais simplement dire que grâce à la presse, à l’espionnage et aux correspondances dans tous les sens, on est très bien renseigné sur les événements ; on sait très bien ce qui se passe. Notamment grâce aux Nouvelles Ordinaires de la Gazette de France qui donne les nouvelles de Rome, de Venise, de Vienne et de Prague en nous apprenant ce qu’il se passe : « En ces préparatifs de guerre, chacun des parties se décharge de blâmes (c’est-à-dire accuse l’autre) pour le remettre sur son compagnon ». Les Espagnols accusent les Français parce que justement ils vont tous les deux intervenir dans cette guerre du côté respectivement des impériaux, donc des Habsbourg, et du côté Protestant pour les Français.</p>
<p>Il y a donc deux parties. Les impériaux ont souvent à leur tête de grands généraux qui ont une importante expérience militaire. Les deux généraux les plus connus : <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Jean_t%27Serclaes,_comte_de_Tilly" title="Jean t'Serclaes, comte de Tilly">Tilly</a>, un catholique fanatique belge (un brabançon) et <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Albrecht_von_Wallenstein" title="Albert-Venceslas Eusèbe von Wallenstein">Albrecht von Wallenstein</a>, un protestant ayant trahi son camp pour rejoindre les impériaux. Ces deux généraux en chef vont se déplacer dans toute l’Allemagne qui sera en quelque sorte leur champ de bataille. Tilly est représenté devant des murs en flammes, car il est particulièrement connu pour avoir <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Magdebourg#Foyer_d.27urbanit.C3.A9_marchande_protestante" title="la ville de Magdebourg durant la Guerre de Trente Ans">assiéger la ville de Magdebourg</a> qui a été pratiquement rasée à la suite de ce conflit.</p>
<figure class="half">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/1b/Johann_Tserclaes_Tilly.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Johann_Tserclaes_Tilly.jpg" alt="Général en armure et fraise, devant un mur de pierres faisant écran aux flammes." /></a>
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/ef/Albrecht_von_waldstein.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Albrecht_von_waldstein.jpg" alt="Général en armure se tenant devant des montagnes." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Johann_Tserclaes_Tilly.jpg" title="Johann t'Serclaes, comte de Tilly en 1630 par Pieter de Jode II et Anthony van Dyck. Fine Arts Museums of San Francisco.">Johann t'Serclaes, comte de Tilly en 1630</a> et <a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Albrecht_von_waldstein.jpg" title="Albrecht Wenzel Eusebius von Wallenstein en 1636-1641 par Anthony van Dyck. Bayerische Staatsgemäldesammlunge.">Albrecht Wenzel Eusebius von Wallenstein en 1636-1641</a>.</figcaption>
</figure>
<p>Sans donner tous les détails de cette guerre, je voudrais dire en quoi elle consiste. Il s’agit d’une guerre de mouvements et de sièges. Deux parties sont en présence : les impériaux et l’<a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Union_protestante">Union protestante</a>. Les armées sont pour l’essentiel des armées de mercenaires, c’est-à-dire des soldats de métier avec trois type de combattants : de l’infanterie composée de mercenaires, des cavaliers se battant avec des armes à feu (des dragons) et, enfin, de l’artillerie de siège contre laquelle on va multiplier les fortifications parfois provisoires, parfois définitives. Ici un camp, là une forteresse ou citadelle sont construits pendant le conflit pour servir en quelque sorte de têtes de ponts. C’est une guerre de batailles ouvertes, de chevauchées et de sièges. L’un des sièges les plus connus est celui opposant les Espagnols et les Hollandais (une guerre annexe à la Guerre de Trente Ans). C’est <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8ge_de_Br%C3%A9da_%281624%29">le siège de Bréda</a>, représenté par <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Diego_V%C3%A9lasquez" title="Diego Rodríguez de Silva y Velázquez">Vélasquez</a>, mais on pourrait en citer beaucoup d’autres.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/8e/Velazquez-The_Surrender_of_Breda.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Velazquez-The_Surrender_of_Breda.jpg" alt="Tableau représentant le vaincu remettant, sans humiliation, les clés de la villes au conquérant." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Velazquez-The_Surrender_of_Breda.jpg" title="La reddition de Breda ou Les lances en 1635 par Diego Velázquez. Museo del Prado.">La reddition de Breda par Diego Velázquez.<br />Museo del Prado.</a></figcaption>
</figure>
<p>Un autre tableau, peint par <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Peeter_Snayers" title="Peeter Snayers">Pieter Snayers</a>, présente la <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Wimpfen">bataille de Wimpfen</a> remportée par <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Jean_t%27Serclaes,_comte_de_Tilly" title="Jean t'Serclaes, comte de Tilly">Tilly</a> sur l’armée protestante.</p>
<figure>
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/21/Een_veldslag_Rijksmuseum_SK-A-1555.jpeg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Een_veldslag_Rijksmuseum_SK-A-1555.jpeg" alt="Charges de cavaleries aux sabres se heurtant aux dragons avec, en fond, artillerie et régiments à perte de vue." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Een_veldslag_Rijksmuseum_SK-A-1555.jpeg" title="La bataille de Wimpfen en 1622 par Pieter Snayers. Rijksmuseum.">La bataille de Wimpfen en 1622 par Pieter Snayers.<br />Rijksmuseum.</a></figcaption>
</figure>
<p>Les impériaux disposent de moyens quand ils sont unis. Espagne, Autriche, Lorraine, parfois la Savoie, ont en effet des moyens supérieurs aux protestants. Le résultat est que les protestants seront battus vers 1623-1624.</p>
<h5 id="lintervention-danoise-1625-1629">L’intervention danoise (1625-1629)</h5>
<p>Le <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Christian_IV_de_Danemark" title="Christian IV de Danemark">Roi du Danemark</a> vient au secours des protestants en 1625, mais il est battu et doit se retirer en 1629.</p>
<h5 id="lintervention-sudoise-1630-1635">L’intervention suédoise (1630-1635)</h5>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/5a/Gustav_II_of_Sweden.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Gustav_II_of_Sweden.jpg" alt="Portrait du roi paraît de broderies." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Gustav_II_of_Sweden.jpg" title="Gustave II Adolphe.">Gustave II Adolphe.</a></figcaption>
</figure>
<p>C’est en 1630 qu’un changement important a lieu : le Roi de Suède, <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Gustave_II_Adolphe_de_Su%C3%A8de" title="Gustave II Adolphe">Gustav Adolf Vasa</a>, un luthérien très sincère, très religieux et détenteur de terres importantes à la limite de l’Allemagne dans la Baltique, décide d’intervenir en Allemagne. Gustave-Adolphe est un chef de guerre absolument remarquable et en l’espace de moins de 2 ans, va réussir à emporter la décision, à battre l’armée catholique, l’armée de Tilly et de Wallenstein. Il donne un espoir extraordinaire aux protestants et a avec lui des généraux qui sont d’excellents chefs de guerre. Le meilleur s’appelle <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_de_Saxe-Weimar">Bernard de Saxe-Weimar</a>.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/aa/Battle_of_Lutzen.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Battle_of_Lutzen.jpg" alt="Chaos suite à la charge des cavaleries et le roi, mort, tombant de son cheval." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Battle_of_Lutzen.jpg" title="La mort de Gustave-Adolphe à la bataille de Lützen en 1632 par Carl Wahlbom.">Bataille de Lützen en 1632 par Carl Wahlbom.</a></figcaption>
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<p>Hélas, à la fin de l’année 1632, le 16 novembre en Saxe, à <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_L%C3%BCtzen_%281632%29">la bataille de Lützen</a> remportée par les suédois : le Roi de Suède est mortellement blessé ; son second, Bernard de Saxe-Weimar, va continuer la guerre pour son compte. On va donc appeler « Suédois » non seulement des suédois d’origine mais aussi et surtout des allemands, des suisses, des saxons essentiellement, recrutés par Bernard de Saxe-Weimar. Ce dernier comprend une chose extrêmement importante : la clé de toute la guerre consiste à s’emparer de la vallée du Rhin, car c’est par là que l’Autriche peut recevoir ses renforts.</p>
<p>À la fin de l’année 1632, Bernard de Saxe-Weimar et un général suédois, <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Gustaf_Horn" title="Gustaf Karlsson Horn">Gustaf Horn</a>, pénètrent en Alsace, obtiennent l’autorisation de passer par le pont de Kehl contrôlé par Strasbourg (ville protestante restée neutre). Les Suédois vont s’emparer de l’Alsace en l’espace de quelques semaines à peine à la fin 1632. Ils prendront notamment Benfeld, la meilleure place forte d’Alsace, dans laquelle ils vont s’organiser pour conquérir la région. Gustave-Adolphe mort, Bernard de Saxe-Weimar est en place. Le problème est qu’il est un peu contesté mais aussi et surtout que les armées catholiques vont essayer de refaire leurs forces. En 1634, l’équilibre des puissances est de nouveau rétabli. Le résultat est que Bernard de Saxe-Weimar va être obligé de faire le forcing. Ce qui l’intéresse en particulier est de bien se positionner sur le Rhin et d’avoir des alliées.</p>
<p>Cette histoire est très complexe, on ne sait jamais qui est dans quel camp. Ce qu’il est important de savoir c’est qu’à partir de 1634, le Roi de France décide d’entrer dans la mêlée. Le Roi de France, très chrétien, catholique ayant des protestants sur ses terres contre lesquels il se bat aussi, passe du côté des princes protestants. C’est paradoxal mais en vertu du principe : « Je suis l’ennemi des Habsbourg d’Espagne et d’Autriche donc, les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». À partir de 1634-1635, le Roi de France envoi des troupes à l’armée dite « suédoise » de Bernard de Saxe-Weimar et va l’aider à prendre possession de l’Alsace en s’organisant plus ou moins bien. Résultat, en 1638, le Roi de France et ses alliés suédois, ou ex-suédois, sont pratiquement, à quelques exceptions près, maîtres de l’Alsace. Il y a eu entre temps des combats extrêmement rudes qui tiennent à la façon de faire la guerre.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/47/Pike_and_shot_model.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Pike_and_shot_model.jpg" alt="Section de piquiers et arquebusiers." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Pike_and_shot_model.jpg" title="Modèle réduit d'une section de piquiers et arquebusiers, musée de l'Armée de Suède à Stockholm. Par Peter Isotalo.">Piquiers et arquebusiers.<br />Par Peter Isotalo.</a></figcaption>
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<p>Ce qui fait la force des armées c’est l’infanterie, la piétaille, c’est-à-dire le nombre de soldats qui se battent avec des piques contre les cavaliers ou contre d’autres fantassins avec des arquebuses suivant une « liturgie » très complexe. Ces armées de milliers d’hommes armés coûtent extrêmement cher parce que se sont des mercenaires ; ce sont en quelques sortes des entreprises privées que l’on loue. Une armée en marche est assez compliquée, car elle est précédée par des arquebusiers, suivi par des mousquetaires puis par des piquiers avec, pour finir, les bagages. Une armée se déplace avec un matériel tout à fait énorme : du butin bien sûr et quantités de personnes vivant de l’armée, hommes, femmes et enfants. Tout cela est mentionné dans les nouvelles, par exemple, de l’invasion Suédoise en Souabe et en Saxe à la fin de l’année 1632 : « le Maréchal <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Gustaf_Horn" title="Gustaf Karlsson Horn">Gustaf Horn</a> est retourné le 9 du présent d’Alsace en cette ville […] avec quelques-unes de ses troupes pour aider à prendre la ville d’Offenburg ». Car lorsque la guerre se rapproche, on va recruter des troupes dès qu’on en a besoin et puis, quand on en a plus besoin, on les licencie et elles passent dans l’armée ennemie. C’est assez compliqué et s’ajoute à cela que faire des sièges coûte extrêmement cher, parce qu’il faut utiliser des techniques et des moyens d’attaques très complexes, mobiliser des terrassiers, du génie, des ingénieurs, j’en passe et des meilleures.</p>
<p>Les suédois vont s’employer à assiéger les principales places fortes du pays. L’exemple le plus connu c’est celui du <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A2teau_du_Haut-K%C5%93nigsbourg">Haut-Kœnigsbourg</a> qui est <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A2teau_du_Haut-K%C5%93nigsbourg#La_destruction" title="La destruction du château fort">assiégé en 1633</a> et finalement pris après quelques semaines. Un siège particulièrement difficile avec des opérations commandos.</p>
<p>Des villes comme Ensisheim ou Belfort, pour citer deux exemples, sont prises et reprises, perdues et reperdues 6 ou 7 fois en l’espace d’un an. Cela donne un aperçu du rythme de cette guerre qui verra aussi l’utilisation d’explosifs. En effet, les sièges se font en utilisant des « pétards » ; il ne s’agit pas de canons, mais des sortes de mortiers plaqués contre les portes ou contre les murs d’une fortification. Cela se passe en général de nuit et ils servent à projeter de l’explosif pour casser le mur ou la porte : c’est une technique fréquemment utilisée. Les techniques de siège, très complexes, demandent souvent des travaux de retranchements, très longs, très importants, au point qu’une guerre est donc toujours souvent un siège qui s’éternise : une armée de relève vient en renfort aux assiégés ou aux assiégeants provoquant une bataille rangée. <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_N%C3%B6rdlingen_%281634%29">La bataille de Nördlingen</a>, par exemple, est une victoire des impériaux contre les suédois et est à l’origine de l’intervention française.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/26/Battle_of_Nordlingen.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Battle_of_Nordlingen.jpg" alt="Chaos suite à la charge des cavaleries devant les murs de Nördlingen." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Battle_of_Nordlingen.jpg" title="Bataille de Nördlingen en 1634 par Jacques Courtois. Westfälisches Landesmuseum.">Bataille de Nördlingen en 1634 par Jacques Courtois.<br />Westfälisches Landesmuseum.</a></figcaption>
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<p>Nördlingen se trouve en Souabe et voici les circonstances de la bataille : les armées se battant à travers toute l’Allemagne sont recrutées non seulement sur place, en Allemagne, mais aussi dans toute l’Europe. Par exemple, on trouve dans l’armée impériale en Alsace : des croates (guerriers relativement sauvages), des espagnols, des italiens… Parmi les généraux on trouve des italiens : <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Ambrogio_Spinola">Ambrogio Spinola Doria</a>, <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Raimondo_Montecuccoli" title="Raimondo, Comte de Montecuccoli">Raimondo Montecuccoli</a>, <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Matthias_Gallas">Matthias Gallas</a>, un belge : <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Jean_t%27Serclaes,_comte_de_Tilly" title="Jean t'Serclaes, comte de Tilly">Jean t’Serclaes, comte de Tilly</a>, un hollandais : le <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Bonaventure_de_Longueval,_comte_de_Bucquoy" title="Charles-Bonaventure de Longueval, comte de Bucquoy">comte de Bucquoy</a>, etc. Il n’y a pas d’appartenance nationale stricte. On est très interchangeable et on fonctionne souvent par rapport au plus offrant. Il y a moyen de gagner sa vie d’une façon extrêmement ample en étant « entrepreneur de guerre ».</p>
<p>Bien entendu cela implique aussi un armement cher et de l’entraînement. Les espagnols sont considérés comme les meilleurs fantassins de l’époque grâce à leur technique de <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Tercio" title="Tercio">bataille en carré</a>. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais il y a de vrais chefs-d’œuvres de tactiques militaires causant des batailles très impressionnantes au cours desquelles des milliers d’hommes s’affrontent avec à la fois le choc de carré de fantassins, l’utilisation d’artillerie pour briser ces carrés, des charges de cavalerie extrêmement impressionnantes, etc.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/48/Schlacht_am_Wei%C3%9Fen_Berg_C-K_063.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Schlacht_am_Weißen_Berg_C-K_063.jpg" alt="Charges de cavaleries contre des carrés." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Schlacht_am_Wei%C3%9Fen_Berg_C-K_063.jpg" title="Bataille de la Montagne Blanche en 1620 par Pieter Snayers.">Bataille de la Montagne Blanche en 1620 par Pieter Snayers.</a></figcaption>
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<figure class="pull-right">
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/31/Stained_glass_with_arms_of_Strasbourg-1523-f3466433.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Stained_glass_with_arms_of_Strasbourg-1523-f3466433.jpg" alt="Bouclier blanc barré de deux bandes rouges, entouré par deux lions et surplombé d'un heaume couronné." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Stained_glass_with_arms_of_Strasbourg-1523-f3466433.jpg" title="Vitrail du XVIème siècle présentant les armoiries de Strasbourg. Par Rama, Musée Historique de Strasbourg.">Armoiries de Strasbourg.<br />Par Rama, Musée Historique de Strasbourg.</a></figcaption>
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<p>Il y a aussi des bannières, car il n’y a pas de drapeaux nationaux à l’époque, et ces bannières portent souvent des slogans. La ville de Strasbourg est neutre, mais en 1632 elle engage des régiments de mercenaires pour se défendre. Certains de leurs drapeaux représentent les armoiries de la ville, d’autres arborent des slogans comme <em>Le christ est mon espoir</em> ou bien <em><a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Gott_mit_Uns" title="Dieu avec nous">Gott mit uns</a></em> qui apparaît à l’époque. Le drapeau de Strasbourg représente assez souvent une fleur de lys qui n’est pas la fleur de lys du Roi de France mais un des symboles de la ville.</p>
<p>Enfin, dans ces opérations de guerre extrêmement rudes, d’allées et venues de troupes, il y a bien entendu toutes les retombées sur la population civile qui, parfois, organise de véritables résistances : c’est particulièrement le cas dans les Vosges où il y a des « guérilleros » et, parfois, des capitaines improvisés. En 1633, les paysans du Sundgau, dans le sud de l’Alsace, se révoltent contre les suédois, s’emparent du <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A2teau_de_Ferrette">château de Ferrette</a> où se trouvait une garnison suédoise (en réalité composée de suisses) et balancent une partie des membres de la garnison par les fenêtres du château (une pratique assez courante à l’époque). Les suédois reviennent et, bien entendu, vont pendre ces pauvres paysans aux branches des arbres. Ce genre d’épisode se multiplie à l’envi au cours de la période.</p>
<figure>
<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b0/Jacques_callot_miseres_guerre.gif">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Jacques_callot_miseres_guerre.gif" alt="Un arbre supportant des dizaines de pendus, entouré de soldats." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Jacques_callot_miseres_guerre.gif" title="Les Misères de la guerre, n°11 : Les Pendus par Jacques Callot. Musée Lorrain.">Les Pendus par Jacques Callot.<br />Musée Lorrain.</a></figcaption>
</figure>
<h5 id="lintervention-franaise-1635-1648">L’intervention française (1635-1648)</h5>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/bf/Cardinal_de_Richelieu_mg_0053.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Cardinal_de_Richelieu_mg_0053.jpg" alt="Profil du Cardinal en soutane rouge." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Cardinal_de_Richelieu_mg_0053.jpg" title="Le Cardinal de Richelieu en 1642 par Philippe de Champaigne. Rama.">Richelieu par Philippe de Champaigne<br />Rama.</a></figcaption>
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<p>Enfin, l’intervention française devient effective à partir de 1634-1635. Le Roi de France envoie des troupes et surtout essaye d’être l’arbitre, de pacifier la région. Quelle est l’idée de <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Armand_Jean_du_Plessis_de_Richelieu" title="Armand Jean du Plessis de Richelieu, cardinal-duc de Richelieu et de Fronsac">Richelieu</a> (le Roi de France de l’époque ; Louis XIII ne comptant pas beaucoup) ? Il se dit que l’Alsace est une voie de passage si importante qu’il faut la contrôler. Comment ? Essentiellement en plaçant en Alsace un allié, un satellite. Et donc, le projet politique de Richelieu est le suivant : s’emparer de Brisach, du <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Vieux-Brisach">Vieux-Brisach</a> (<em>Alt Breisach</em>), parce que c’est le pont le plus important pour la maison d’Autriche. Je l’ai déjà dit : le pont de Strasbourg est contrôlé par Strasbourg, le pont de Bâle par Bâle, reste le pont de Brisach qui est vraiment le pont essentiel à l’échelle de l’Europe. D’où l’idée des français et de leurs alliés suédois : tout faire pour s’en emparer.</p>
<p>Le siège de Brisach fut une opération de longue haleine. Il a lieu en 1638 et a été comparé par son importance stratégique au <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Stalingrad">siège de Stalingrad</a>. La comparaison n’est peut-être pas trop forcée, car s’emparer de Brisach est la garantie pour celui qui en serait le maître de tout contrôler jusqu’à Vienne. C’est la raison pour laquelle cette ville est assiégée. Bernard de Saxe-Weimar remporte la victoire et s’installe à Brisach. Le Roi de France lui a fait la promesse suivante : « Mon brave, tu vas t’installer à Brisach. Je vais t’aider à pacifier la région, particulièrement l’Alsace, et le jour où je négocierais la paix, tu seras le Prince de l’Alsace ». Voilà, en gros, le projet politique : créer un nouvel État qui serait un État tampon, sans être aux mains du Roi de France mais dans celles d’un de ses alliés. Bernard de Saxe-Weimar fait partie de la famille des <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Duch%C3%A9s_saxons">Ducs de Saxe</a>, mais c’est un fils cadet. Donc il n’a rien et il est intéressé par ce projet politique.</p>
<p>Imaginez ce qui aurait pu se passer sans cet événement majeur de 1638 : l’Alsace serait devenue espagnole, on pourrait boire de la sangria ensemble, on irait peut-être tous à la corrida… à Schirmeck. Il n’empêche qu’en 1638, l’Alsace est sur le point de devenir la Principauté de Bernard de Saxe-Weimar. Hélas, ou heureusement, Bernard de Saxe-Weimar est pris apparemment d’une pneumonie, on ne sait pas exactement, peut-être empoisonné par des rivaux, et meurt inopinément en 1639. Que va faire le Roi de France ? Son meilleur allié, son joker, a passé l’arme à gauche ! Le Roi va alors compter sur le fait que les généraux de Bernard de Saxe-Weimar, ses collaborateurs, vont se disputer. C’est effectivement ce qui va se passer. Donc le Roi de France se dit « Tant pis, puisque mon joker ne peut pas jouer à ma place, je vais jouer moi même ». C’est la raison pour laquelle, en 1639, Richelieu met au point l’idée d’une annexion de l’Alsace.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/74/Breisach_II.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Breisach_II.jpg" alt="Un bastion aménagé en îlot, protége l'accès aux ponts reliant les deux rives. Brisach et ses fortifactions apparraissent en fond." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Breisach_II.jpg" title="Breisach par Matthäus Merian. Herzogin Anna Amalia Bibliothek.">« Sur cette gravure, vous pouvez voir à quoi ressemblait Brisach défendue sur le Rhin presque sous forme d’île. »<br />Herzogin Anna Amalia Bibliothek.</a></figcaption>
</figure>
<p>Je n’ai pas eu l’occasion de vous le dire mais le grand problème auquel est confronté Bernard de Saxe-Weimar, comme le Roi de France, sont la Lorraine et la Franche-Comté, deux régions ennemies voisines. Donc, toute l’idée va consister à faire en sorte que les Lorrains puissent être rejetés hors d’Alsace et éventuellement maîtrisés chez eux.</p>
<h5 id="limpact-de-la-guerre-sur-les-populations">L’impact de la guerre sur les populations</h5>
<p>Cette Guerre de Trente Ans présente deux très grandes phases : la première allant de 1621 à 1623 et seconde de 1632 à 1639. Puis il y aura encore les « arrêts de jeux », un peu plus tard, vers 1640-1644 mais ça concerne assez peu l’Alsace. La Guerre de Trente Ans a en réalité durée sur le terrain 6 ou 7 ans mais la guerre peut faire des dégâts autres que des dégâts militaires.</p>
<p>La guerre consiste d’abord de passages de troupes, mal payées ou pas payées du tout, qui vont par conséquent faire régner, dans les campagnes plus que dans les villes protégées par leurs remparts, un climat de terreur. D’où ces évènements continuels de maraudeurs qui investissent les villages, attaquent les paysans, volent leurs provisions, violent les femmes, massacrent les vieillards et les enfants, prennent les troupeaux, brûlent, etc.</p>
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<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/Simplicissimus_Cover_page.jpeg" alt="Une chimère mâle de profil tenant un livre et composée d'un pied de cheval et l'autre d'oiseau, d'une aile d'aigle et d'une queue de poison." />
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Simplicissimus_Cover_page.jpeg" title="Frontispice des Aventures de Simplicius Simplicissimus, édition de 1671.">Simplicius Simplicissimus en 1671.</a></figcaption>
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<p>Ces misères de la guerre on les connaît bien grâce aux descriptions très nombreuses dans des récits. En particulier un roman intitulé « <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Les_Aventures_de_Simplicius_Simplicissimus" title="Les Aventures de Simplicius Simplicissimus">Simplicius Simplicissimus</a> » racontant les aventures d’un garçon pris dans la guerre. L’auteur s’appelle <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Hans_Jakob_Christoffel_von_Grimmelshausen" title="Hans Jakob Christoffel von Grimmelshausen">Christophe von Grimmelshausen</a> et, bien que protestant, il a fait carrière dans un régiment au service des impériaux. À la fin de la guerre il se retire près d’Oberkirch, devient aubergiste et administrateur seigneurial. Il va publier des romans dans lesquels il évoque ce qu’il a vu lui-même durant la guerre. Ces événements, tout à fait épouvantables, dont il a été victime, complice et acteur, je vous conseille de les lire dans ce récit de Grimmelshausen qui a été édité en allemand dès 1659 (la première édition a parue à Montbéliard). Il y raconte l’histoire d’un vagabond étrange qui va connaître à la fois une ascension comme capitaine brigand et en même temps va connaître les pires déboires au cours de son existence aventureuse. Il existe une très bonne traduction française qui a parue il y a quelques années (<em><a href="//www.amazon.fr/AVENTURES-SIMPLICISSIMUS-Hans-Jacob-Grimmelshausen/dp/2213024324?SubscriptionId=AKIAIYV7X6XV3BIJJFNA&tag=aufildusavo-21">Les aventures de Simplicissimus</a>, première traduction intégrale et notes de Jean Amsler, préface de Pascal Quignard, Fayard, 1990, ISBN 2-213-02432-4</em>).</p>
<p>De ces malheurs de la guerre il y a, bien sûr, les dessins ou les gravures de <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Callot">Jacques Callot</a>, un lorrain mort en 1633. Des gravures représentant d’une manière générique les <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Les_Grandes_Mis%C3%A8res_de_la_guerre" title="Les Misères et les Malheurs de la guerre">malheurs de la guerre</a>. Ce ne sont pas des illustrations de la Guerre de Trente Ans proprement dite puisqu’il est mort avant la phase la plus rude mais elles représentent ce qu’est une guerre de l’époque avec son cortège de massacres absolument abominables. Ce sont sans doute les images les plus crues précédant celles de <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Francisco_de_Goya" title="Francisco José de Goya y Lucientes">Goya</a> au début du XIXème siècle.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/fb/Les_mis%C3%A8res_et_les_malheurs_de_la_guerre_-_14_-_La_roue.png">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Les_misères_et_les_malheurs_de_la_guerre_-_14_-_La_roue.png" alt="Un échaffaud surplombe foule et armée afin que tous voient le condamné, attaché sur une roue horizontale, se faire briser les membres par le bourreau pendant qu'un prêtre lui donne l'extrême onction." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Les_mis%C3%A8res_et_les_malheurs_de_la_guerre_-_14_-_La_roue.png" title="Les Misères de la guerre, n°14 : (Le supplice de) La Roue par Jacques Callot. Musée Lorrain.">La Roue par Jacques Callot.<br />Musée Lorrain.</a></figcaption>
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<p>À ces témoignages, j’en ajouterai un qui est le récit de la vie d’un colmarien, potier d’étain et protestant, dénommé Augustin Güntzerii. Son récit a été traduit par une de mes anciennes étudiantes, Monique Debus Kehr, et c’est sans doute un des témoignages les plus forts qui ait été publié sur la Guerre de Trente Ans. Je vous le recommande parce qu’il nous montre ces catastrophes (<em><a href="//www.amazon.fr/Lhistoire-toute-vie-Autobiographie-calviniste/dp/2745320297?SubscriptionId=AKIAIYV7X6XV3BIJJFNA&tag=aufildusavo-21">L’histoire de toute ma vie – Autobiographie d’un potier d’étain calviniste du XVIIe siècle</a>, traduit de l’allemand par Monique Debus Kehr, préface de Jacques Revel, Honoré Champion, 2010, ISBN 2-745-32029-7</em>).
Quelles sont ces catastrophes ? Bien entendu l’irruption de soldats, la violence, le rétablissement brutal d’une religion qu’on ne veut pas, des voies de fait continuelles, des maraudages, des destructions… Par exemple, un viticulteur nous dit que ses vignes ont été abandonnées pendant 8 ans où il n’a pas pu travailler et sa cave a été pillée. Il est totalement ruiné alors qu’il avait passé une partie de sa vie à construire une certaine aisance, etc.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/4b/Les_mis%C3%A8res_et_les_malheurs_de_la_guerre_-_04_-La_maraude.png">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Les_misères_et_les_malheurs_de_la_guerre_-_04_-La_maraude.png" alt="Soldats volants un village et ses habitants." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Les_mis%C3%A8res_et_les_malheurs_de_la_guerre_-_04_-La_maraude.png" title="Les Misères de la guerre, n°4 : La Maraude par Jacques Callot. Musée Lorrain.">La Maraude par Jacques Callot.<br />Musée Lorrain.</a></figcaption>
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<p>Les résultats les plus spectaculaires pour nous, sont démographiques. Ces chiffres sont établis à partir des registres de baptêmes, de sépultures ou de mariages et nous montrent que dans certaines localités la mortalité, ou la natalité, peuvent connaître des pics absolument extraordinaires. On a une natalité très forte et une mortalité bien plus faible, par exemple : 42 naissances pour 1000 habitants à Dambach-la-Ville en 1660. C’est un indice d’une population qui se porte bien. Il faut imaginer qu’actuellement la natalité est de moins de 10 pour 1000 dans nos pays d’Europe Occidentale. Quand vous prenez le graphique nous montrant l’évolution de la population de Dambach-la-Ville, on voit que la courbe des naissances au cours de la période qui commence en 1600 est irrégulière. En principe les naissances devraient être constantes pour une population constante, en tout cas avant l’époque actuelle. Au contraire, on voit sur la courbe des pics et des chutes. Les chutes signifient que la population : soit n’est pas là pour se reproduire, soit que les conditions biologiques sont mauvaises. En comparant ce graphique avec celui de la mortalité nous voyons qu’il y a des années, c’est le cas en 1632-1633 et 1635-1636, où vous avez beaucoup plus de morts que de nouveau-nés. C’est l’effet direct de la guerre.</p>
<p>Mais la guerre ne tue pas, du moins elle ne tue pas par les armes. Elle tue surtout par malnutrition, privations, par des conditions absolument insupportables, par le malheur économique… Je prends un exemple : après le passage de l’armée de Mansfeld en 1622, le prix du pain a été multiplié par dix. Ça c’est une catastrophe parce que les gens n’ont pas les moyens d’acheter ce pain. Alors que vont-ils faire ? Ils vont s’endetter, partir et on voit donc des villages qui se dépeuplent. Des gens qui partent ne veut pas dire qu’ils meurent. Ça signifie qu’ils se réfugient ailleurs, là où on ne se bat pas, comme en Suisse. Dans certaines régions des Vosges, on a pu remarquer que du côté de Bruyère, brusquement la population a augmenté autour de 1640, car des Alsaciens sont allés s’y réfugier, causant donc des perturbations absolument terribles.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/64/Wenceslas_Hollar_-_Six_men_and_women_beggars.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Wenceslas_Hollar_-_Six_men_and_women_beggars.jpg" alt="Mendiants, hommes et femmes, dans divers états dénuements." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Wenceslas_Hollar_-_Six_men_and_women_beggars.jpg" title="Six mendiants par Wenceslas Hollar. Université de Toronto.">Six mendiants par Wenceslas Hollar.<br />Université de Toronto.</a></figcaption>
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<p>L’endettement a une autre cause extrêmement importante : le financement de la guerre, par l’impôt en grande partie. Imposer lourdement des gens qui sont déjà appauvris est un problème terrible. Même si la guerre n’a peut être pas déferlé en Alsace autrement que par des passages de troupes. Entre la victoire catholique de 1623 et l’arrivée des suédois neuf ans plus tard, les pauvres alsaciens, catholiques ou protestants indifféremment, ont été obligés de donner tellement d’argent à leur Prince sous forme d’impôt que l’appauvrissement a été terrible. Cela s’est aussi traduit par un affaiblissement, par un exode, etc. Le résultat au bout de trente ans : les forces vives de toute l’Allemagne mais aussi des régions voisines sont épuisées. Je ne l’ai pas dit mais, par exemple, en 1640 en France, en Anjou, en Normandie, en Bretagne où la guerre ne sévit pas, les gens se révoltent contre le Roi parce-qu’il leur impose des impôts absolument colossaux pour financer ses troupes qui guerroient en Alsace. Tout est lié. Une relation très forte s’instaure et l’épuisement est tel que la sagesse revient à la surface afin d’essayer de négocier une paix.</p>
<h5 id="les-traits-de-paix-de-westphalie-1648">Les traités de paix de Westphalie (1648)</h5>
<p>Les négociations de paix sont assez complexes. Elles sont faites par des diplomates et en Westphalie, car c’est justement la région intermédiaire entre, en gros, la Baltique, la mer du Nord et les régions plus au Sud : Saxe, Souabe, Thuringe, etc ; bref, un carrefour. Ces négociations sont faites entre les représentants de la ligue catholique des impériaux, notamment des Habsbourg, du duc de Lorraine, le Roi d’Espagne, qui continu à être en guerre avec le Roi de France à cette date et des plénipotentiaires protestants, français, suédois, etc. Ils décident de signer une paix qui devait être perpétuelle. L’idée fondant cette paix est de remettre les « pendules à zéro », autrement dit : rétablir la situation d’avant-guerre. Le terrain gagné par les catholiques sera rendu aux protestants et inversement. Les libertés arrachées aux uns et aux autres seront rétablies, etc. Un coup pour rien, match nul, retour à la case départ.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d1/Bartholomeus_van_der_Helst%2C_Banquet_of_the_Amsterdam_Civic_Guard_in_Celebration_of_the_Peace_of_M%C3%BCnster.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Bartholomeus_van_der_Helst,_Banquet_of_the_Amsterdam_Civic_Guard_in_Celebration_of_the_Peace_of_Münster.jpg" alt="Groupe d'hommes atablés profitant d'un bon repas." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Bartholomeus_van_der_Helst,_Banquet_of_the_Amsterdam_Civic_Guard_in_Celebration_of_the_Peace_of_M%C3%BCnster.jpg" title="Banquet de la garde civique d'Amsterdam à l'occasion de la paix de Münster par Bartholomeus van der Helst. Rijksmuseum.">Célébration de la Paix de Munster par Bartholomeus van der Helst.<br />Rijksmuseum.</a></figcaption>
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<p>Ce retour à la case départ n’est pas complet parce qu’il y a dans la tourmente des vaincus disparus, des occupations de fait instaurées… Le Roi de France tire les marrons du feu en négociant le transfert sous sa domination des biens et des droits que possédaient la maison d’Autriche dans la vallée du Rhin. Le Roi de France obtient donc, en pleine souveraineté, la Haute-Alsace et le Sundgau mais aussi Brisach. En réalité, Brisach l’intéresse le plus, car cela lui permet d’avoir une tête de pont. Il obtient également un droit de contrôle sur les villes impériales d’Alsace qui restes impériales. Ce sont Mulhouse, Munster, Colmar, Turckheim, Kaysersberg, Sélestat, Obernai, Rosheim, Haguenau, Wissembourg et Landau ; ce qu’on appelle <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9capole_%28Saint-Empire%29">la Décapole</a>. C’est à partir des terres autrichiennes et des droits que tenaient la maison d’Autriche qu’il va unifier l’Alsace à son profit pour en faire une Province. Une Alsace française qui n’existait pas avant mais qu’il va soumettre, organiser et défendre. Lui, le vainqueur, le pacificateur, va annexer l’Alsace qui appartient à une autre culture en respectant relativement bien ses usages (ce qui parait un paradoxe). Le mot d’ordre du Roi est de dire « Il ne faut pas toucher aux usages de l’Alsace » et il l’annexe finalement à l’État français jusqu’à la Révolution française où elle finira par être intégrée à la nation française. De cette Alsace que le Roi de France obtient en partie en 1648, il va progressivement, par une politique complexe mais très habile, annexer le reste jusqu’en 1681, où il ajoutera Strasbourg pour s’emparer de ce qui fait la puissance de cette ville : son pont.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/d6/Holy_Roman_Empire_1648_fr.svg/1280px-Holy_Roman_Empire_1648_fr.svg.png">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Holy_Roman_Empire_1648_fr.svg.png" alt="Carte, ressemblant à un puzzle, montrant le morcellement des territoires." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Holy_Roman_Empire_1648_fr.svg" title="Carte du Saint-Empire Romain Germanique en 1648, après les Traités de Westphalie. Par Astrokey44 & Tinodela.">Carte du Saint-Empire Romain Germanique en 1648.<br />Par Astrokey44 & Tinodela.</a></figcaption>
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<h4 id="conclusion">Conclusion</h4>
<p>Le relèvement de cette région a été une entreprise de longue haleine mais tout dans cet épisode épouvantable n’a pas été globalement négatif. D’abord, la domination française a garanti à l’Alsace pratiquement plus d’un siècle de paix ; une paix armée. Elle a provoqué une sorte de transition, une sorte d’osmose entre une culture allemande, une culture politique différente et un espace, une culture française mais ensuite les alsaciens en ont tiré un certain nombre de bénéfices : les bénéfices de la paix, le maintient du statut-quo confessionnel… Le paradoxe c’est, par exemple, que le Roi de France a accepté en Alsace ce qu’il ne tolérait pas chez lui : la coexistence de catholiques et de protestants et du reste de juifs. C’est aussi une prospérité nouvelle, un aspect qu’on oublie…</p>
<p>Autre paradoxe, Strasbourg la protestante est restée neutre. Pourquoi ? Parce que cette ville avait compris que son intérêt était son pont, clé de l’Allemagne, pouvant être vendu au plus offrant. Elle va aussi et surtout profiter de la situation. Strasbourg, ville forte, va accueillir des réfugiés. Quand ils sont riches, c’est intéressant mais cela l’est aussi quand les réfugiés sont pauvres : on peut leur prêter de l’argent et, s’ils ne remboursent pas, récupérer leurs terres. Grâce à la Guerre de Trente Ans, Strasbourg, ville de banque, ville de pouvoir, va beaucoup mieux contrôler son arrière-pays en devenant une puissance financière et marchande tout à fait exceptionnelle. À Mulhouse, le phénomène est exactement le même. Mulhouse est une petite ville, alliée des Suisses, qui va rester neutre pendant que toutes les campagnes alentour se déchirent. Mulhouse voit affluer chez elle de l’argent (un peu comme la Suisse entre 1933 et 1945). Ce sont les conditions de la prospérité, l’accumulation primitive du capital. Le résultat est que ces villes marchandes vont imaginer des solutions astucieuses pour essayer de faire fructifier leur argent et vont passer, dans le cas de Strasbourg, à des activités marchandes lucratives. Pour Mulhouse ce sera des investissements dans l’industrie une fois la paix revenue. Autrement dit, cette guerre a été fondatrice d’une Alsace nouvelle.</p>
<p>Au terme de cet exposé, je voudrais vous dire que c’est presque une page que je referme ce soir avec vous, car alors que j’arrive presque à la fin de ma carrière, ma 1ère leçon d’Histoire en tant que jeune professeur a porté sur la Guerre de Trente Ans !</p>
<h3 id="questions-du-public">Questions du public</h3>
<p>Le public présent a posé les questions suivantes :</p>
<p><strong>Question</strong> : <em>Est-il vrai que le Duc de Lorraine avait envoyé des troupes qui ont décimées l’Alsace ?</em></p>
<p><strong>Réponse</strong> : <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Charles_IV_de_Lorraine" title="Charles de Vaudémont, dit Charles IV de Lorraine">Le duc de Lorraine</a> a très mauvaise réputation. Bien entendu pour les impériaux qui se trouvent essentiellement à l’Est de la Forêt-Noire et éventuellement dans le Sud, le duc de Lorraine est un allié situé de l’autre côté du massif, donc un allié extrêmement commode du point de vue stratégique et tactique. Le duc de Lorraine est un prince catholique très puissant. Par conséquent, il va jouer un rôle tout à fait essentiel dans les opérations militaires en Alsace. C’est en grande partie à cause de lui que la guerre a duré plus longtemps.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/en/2/22/Charles_IV_of_Lorraine.jpg">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Charles_IV_of_Lorraine.jpg" alt="Portrait en medaillon du Duc portant moultes broderies." /></a>
<figcaption><a href="//en.wikipedia.org/wiki/File:Charles_IV_of_Lorraine.jpg" title="Charles IV de Lorraine.">Charles IV de Lorraine.</a></figcaption>
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<p>A-t-il été plus cruel que les suédois ou les autres ? Je vous dirais que tout dépend du point de vue. Il va de soi que le duc de Lorraine, ou plutôt l’armée du duc de Lorraine, a été accueillie en libératrice dans certains secteurs catholiques d’Alsace. Chez les protestants en revanche, ils ont été accueillis comme les pires oppresseurs. Il y a eu effectivement des coups-de-mains. Je ne pourrai pas en parler avec beaucoup de détails, même si toutes les armées se comportent à peu près de la même manière. Il se trouve que le duc de Lorraine était incontestablement un très grand général, un chef de guerre doué qui a notamment remporté une victoire très importante à Freiburg im Breisgau. Il est aussi utile de rappeler que ses terres ont été occupées par l’armée française ou en partie par les suédois et les alliés des suédois presque plus souvent que le duc de Lorraine est venu en Alsace. Tout le monde a donc été victime de tout le monde, car il était parfois très difficile de savoir quel était l’ennemi qu’on avait en face de soi.</p>
<p><strong>Question</strong> : <em>Dans cette guerre on voit bien les moyens nécessaires. Il y avait des mercenaires, donc il fallait bien les payer et les impériaux possédaient l’argent de l’Amérique. Quels étaient les moyens des protestants ?</em></p>
<p><strong>Réponse</strong> : La pompe à finances a fonctionné de tous les côtés. Il est utile de rappeler, par exemple, que le premier des chefs protestants, le Comte Palatin Frédéric V, était très riche parce qu’il était détenteur des péages du Rhin à la hauteur de Heidelberg et ailleurs. Le Roi de Suède était très riche parce que, par exemple, il avait des mines de cuivre qu’il exploitait et qui lui rapportaient beaucoup d’argent. Mais c’est plus de l’argent interne qu’on utilise que de l’argent externe, c’est-à-dire l’impôt. Les impériaux avaient probablement un atout que n’avait pas, enfin ça dépend, les villes protestantes qui sont assez nombreuses. Je pense à Nuremberg, Francfort, Strasbourg qui ont prêté de l’argent. Ainsi ça a marché avec le crédit en partie et l’argent du Roi de France qui en avait beaucoup grâce notamment à ses braves contribuables bretons, aquitains, etc. Il y avait aussi le recyclage du butin qui est quelque chose de très important.</p>
<p><strong>Question</strong> : <em>Le Roi de France, par exemple, avant qu’il n’intervienne directement militairement, avait prêté de l’argent ?</em></p>
<p><strong>Réponse</strong> : Je pense que le Roi de France a dû financer assez rapidement les Princes protestants mais c’est une tradition très ancienne. Le Roi de France s’appuie sur les princes protestants depuis <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Ier_%28roi_de_France%29">François 1er</a>. C’est une technique qui marche très bien : les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Il y aurait effectivement parmi les choses qui peuvent jouer, des rivalités financières. Par exemple, les Pays-Bas avaient beaucoup d’argent et ont aussi en partie financé. C’était très compliqué mais, bien entendu, ça se traduisait aussi par des échanges de produits en tout genre. L’un des atouts de l’Autriche était ses propres mines, sur place, en Bohême et dans les Vosges. Mais l’expérience montre que les mines des Vosges étaient en train de s’épuiser ; en tout cas elles avaient perdu leur importance économique, mais on ne le savait pas encore…</p>
<p><strong>Question</strong> : <em>La Guerre de Trente Ans aurait ruinée encore plus la Lorraine, tant sur le plan humain que celui des richesses. Est-ce vrai ?</em></p>
<p><strong>Réponse</strong> : Le problème est toujours le même : comment évaluer exactement le bénéfice ou la perte en argent ? C’est très difficile à dire. Il faut effectivement savoir que la Lorraine à la fin de la Renaissance est très prospère, grâce au sel, en partie aux mines, verre, papier… La Lorraine à connu un essor absolument extraordinaire au XVIème siècle. Il se peut qu’effectivement elle ait eu beaucoup de peine à s’en remettre même si les dégâts physiques ont pu être moindre. On peut le savoir parce qu’on a des indicateurs : les administrations lorraines tenaient très bien leurs comptes et on a en particulier les comptes des péages. On sait, par exemple, que les marchandises circulent moins. Donc là, il y a une perturbation importante. La Lorraine a perdu son rôle de zone de transit international pendant cette guerre là. Il se peut que cela ait aussi motivé une partie de ses interventions…</p>
<p><strong>Question</strong> : <em>Pourriez-vous nous parler très succinctement des conséquences de la Guerre de Trente Ans sur la vallée de la Bruche ? On a lu et on sait par l’histoire que la Guerre de Trente Ans a fait des ravages ici, que des villages ont été fortement mis à contribution et qu’il y eut par la suite un repeuplement.</em></p>
<p><strong>Réponse</strong> : J’aurais beaucoup de peine à vous donner des exemples précis dans la vallée de la Bruche, que je connais très mal, mais ce qu’il est important de dire est, qu’effectivement, il y a eu un dépeuplement. Ce dépeuplement se produit par élimination physique, des gens meurent, mais aussi par le non-renouvellement des générations. Il y a aussi et surtout les départs des gens qui vont au loin. À ma connaissance, il n’y a pas eu de village entièrement dépeuplé ; en revanche on sait qu’à partir de 1662, ou même un peu plus tôt, des mesures de repopulation ou de repeuplement sont prises. Ces mesures consistent en grande partie à inciter des étrangers, des immigrés, à venir s’installer.</p>
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<a href="//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/57/Bev%C3%B6lkerkungsr%C3%BCckgang_im_HRRDN_nach_dem_Drei%C3%9Figj%C3%A4hrigen_Krieg.PNG">
<img src="/images/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/small_Bevölkerkungsrückgang_im_HRRDN_nach_dem_Dreißigjährigen_Krieg.png" alt="Sur un axe allant de la Lorraine à la mer Baltique, les régions du centre de l'Allemagne ont perdu entre 33% et 66% de leurs populations." /></a>
<figcaption><a href="//commons.wikimedia.org/wiki/File:Bev%C3%B6lkerkungsr%C3%BCckgang_im_HRRDN_nach_dem_Drei%C3%9Figj%C3%A4hrigen_Krieg.PNG" title="Pourcentages de réductions des populations après la Guerre de Trente Ans. Par Schoolinf3456.">Réductions des populations<br />Par Schoolinf3456.</a></figcaption>
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<p>Quels sont ces immigrés ? D’une part des gens venant de régions épargnées par la guerre. L’exemple le plus connu est celui des suisses. Autour de 1650, la Suisse a connu des troubles, des révoltes, qui étaient en grande partie imputables à un surpeuplement de ses campagnes. Autrement dit, un jeu de vases communicants fait qu’une immigration suisse s’est produite. On la connaît bien par la généalogie, car si je prends mon cas, une partie de ma famille vient du pays de Lucerne. Pratiquement toutes les familles ont la même caractéristique (en tout cas les gens qui ont des racines locales plus ou moins faciles à suivre). Il y a d’autres régions ayant également envoyé des immigrants. Par exemple, dans le pays de Hanau, on trouve à côté de Lichtenberg un lieu dit appelé la « <a href="//www.lichtenberg.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=26&Itemid=3" title="Lichtenberg.fr – Origine de la localité actuelle et richesses patrimoniales">Picardie</a> ». On pourrait trouver d’autres exemples : il y a des gens isolés qui font souches, parfois d’anciens soldats, ça peut aussi jouer. J’ai aussi un de mes ancêtres, un pauvre type, qui un jour a été blessé du côté de Colmar et est resté sur place où il a épousé une fille du pays, c’est archi-courant.</p>
<p>Il va de soi que le repeuplement n’a pas été aussi rapide que ce qu’on peut imaginer. Il y a des régions où le flux d’arrivée d’immigrants a duré jusqu’au début du XVIIIème siècle. Parfois on les encourageait en leur donnant des terres, preuve que les terres étaient abandonnées. On sait aussi que certains de ces immigrants ont introduit des coutumes qui n’existaient pas, des habitudes qui n’étaient pas connues. C’est ce qu’on dit dans la vallée de Münster, repeuplée en partie avec des bernois, on y prêtant que le fromage de Münster actuel viendrait de ces immigrants. Je ne sais pas si c’est vrai, mais je sais qu’avant la Guerre de Trente Ans le fromage de Münster était une pâte cuite, dure, une sorte de tome. Donc il se peut quand même que chronologiquement quelque chose se soit passée.</p>
<p>Je pense pouvoir vous dire que ce qui a fait le plus pour repeupler l’Alsace : plus que l’immigration, c’est la pomme de terre qui, effectivement, c’est développée à ce moment-là. Elle est venue très tôt, avant la Guerre de Trente Ans, mais elle ne s’est vraiment développée qu’après parce que la pomme de terre garantissait au moins de quoi se nourrir pendant la morte saison. C’est relativement bien documenté bien que dans les manuels scolaires français on vous dit toujours que c’est <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Parmentier" title="Antoine Augustin Parmentier">Parmentier</a> qui a introduit la pomme de terre à la cour de <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Louis_XVI">Louis XVI</a> autour de 1780. Vous voyez que l’Alsace avait une avance de 150 ans ! C’est quand même pas mal.</p>
<p>Et puis il y a aussi probablement d’autres types d’immigrants, par exemple, dans le Ban de la Roche, dans les terres de Salm, un peu plus tard au XVIIIème siècle, l’arrivée des <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Anabaptisme">anabaptistes</a> qui venaient aussi de l’Oberland bernois. Ils font partie de ces différends flux.</p>
<p>En réfléchissant un peu plus on constate que ces flux ne sont pas des nouveautés absolues, et je voudrais faire une remarque que je n’ai pas encore eu l’occasion de faire, qui est que cette Guerre de Trente Ans a été tellement épouvantable et a représenté une telle cassure dans l’esprit des gens, que beaucoup ont oublié ce qu’il y avait avant, oublié les autres guerres, les autres immigrations et tout se passe comme si les Suédois étaient à l’origine de tout. Je vais donner deux exemples :
1. une chanson populaire, recueillie au XIXème siècle dans le Sud de l’Alsace, du côté du Ballon d’Alsace, raconte une révolte contre des prédateurs, des ennemis. Les gens ayant recueilli cette chanson, une balade populaire appelée le « <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Litt%C3%A9rature_de_langue_comtoise#Le_chant_du_Rosemont">chant du Rosemont</a> », se sont dit qu’elle se rapportait aux événements de la Guerre de Trente Ans. Tout le monde était d’accord, tout le monde pensait que cette tradition remontait à ce moment-là. Hors, on sait depuis que cela raconte un épisode qui a eu lieu 100 ans plus tôt, pendant la Guerre des Paysans (<em><a href="//www.amazon.fr/La-guerre-paysans-Georges-Bischoff/dp/2716507554?SubscriptionId=AKIAIYV7X6XV3BIJJFNA&tag=aufildusavo-21">La Guerre des Paysans</a>, Georges Bischoff, La Nuée bleue, 2010 ISBN 2-716-50755-4</em>) qui a été la grande insurrection paysanne de 1525.
2. le deuxième exemple concerne les sites de villages abandonnés. Vous trouvez dans les livres et dans les témoignages des gens à qui on pose des questions telles que « depuis quand cet endroit est abandonné ? ». Ils vous répondent « depuis la Guerre de Trente Ans, depuis la guerre des Suédois ». La réalité est tout autre. Je prends un exemple que je connais bien du côté d’Ensisheim où je sais qu’un village avait été abandonné au XIVème siècle et n’a été réaménagé qu’au XVIIème siècle. C’est le village de <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Rustenhart#Histoire">Rustenhart</a>. Donc au moment de la reconstruction on a imaginé qu’on reconstruisait des villages disparus pendant la guerre alors qu’en réalité ils avaient disparu depuis trois ou quatre siècles. On s’est focalisé sur cet événement de la Guerre de Trente Ans.</p>
<p>On trouve aussi a peu près partout des gens faisant de la généalogie et disant « je ne peux pas remonter au-delà de la Guerre de Trente Ans ». Ceci est parfaitement vrai parce qu’il est assez rare d’avoir des registres paroissiaux d’avant la Guerre de Trente Ans, car dans la plupart des villages, les registres n’ont été ouverts qu’après le <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Concile_de_Trente">concile de Trente</a> (à la fin du XVIème siècle) et que pas mal d’entre eux ont du être perdus pendant les événements de la Guerre de Trente Ans.</p>
<p>La réalité est que cette guerre n’a pas tellement détruit. Elle a beaucoup pillé, elle a tué par excès ou par défaut, mais elle n’a pas tellement détruit. Pour s’en rendre compte, on peut prendre le cas de Riquewihr ou d’autres exemples à l’entrée de la vallée de la Bruche, à Altorf, Rosheim, Dorlisheim qui est un <a href="//fr.wikipedia.org/wiki/Ville_ouverte">village ouvert</a> et que sais-je encore. Quand vous allez dans ces villages, vous constatez, comme dans le cas de Riquewihr, où on a fait des statistiques, que les deux tiers des maisons datent d’avant la Guerre de Trente Ans. Ce qui veut dire qu’elles n’ont pas été détruites puisqu’elles sont là ! Je dis ceci pour essayer de réviser l’interprétation un peu trop noire que l’on peut faire. Ça ne veut pas dire que la guerre n’a pas existé mais qu’il faut bien nuancer. Aussi, quand on fait l’histoire des édifices, on constatera que le nombre d’églises brûlées (l’église est en général le lieu le plus emblématique d’un village, d’une ville) est tout à fait infime. La guerre a été terrible mais, malgré tout, le pire était les batailles en rase campagne et les sièges, peu nombreux ; bien que les cas de localités assiégées aient laissé de nombreuses traces.</p>
<p>Enfin, on trouve souvent une légende très tenace disant « nous, en Alsace, on a tous du sang suédois. Ils sont passés par là et ont laissé un certain nombre de leurs chromosomes ». D’abord il n’est pas nécessaire d’être suédois pour être blond et, ou grand, mais cette tradition est très romanesque.</p>
<p>Se dire qu’on descend de suédois parce-qu’on a le type ou le physique scandinave : grand, yeux bleus… c’est très valorisant, car les suédois (et suédoises) ont une réputation de beauté, d’intelligence, de travail, d’Ikea, de Volvo, etc. Alors qu’avec un peu de chance, les petits croates, les hongrois, les italiens, les espagnols du Sud de l’Espagne ont laissé plus de chromosomes que les suédois. Ils étaient à coup sûr plus nombreux mais c’est beaucoup plus valorisant autrement. En plus les suédois ne sont pas de vrais allemands et pour nous alsaciens qui sommes quand même globalement d’origine germanique, ça fait mieux d’avoir sur une carte de visite un pedigree de suédois.</p>
<p><strong>Question</strong> : <em>Pensez-vous que cette configuration de l’Alsace à l’issue de la Guerre de Trente Ans a eu une influence sur son histoire, sur ses hésitations entre France et Allemagne ?</em></p>
<p><strong>Réponse</strong> : Je crois que ce que vous dites est très important parce que c’est effectivement à la suite de cette guerre que l’Alsace est devenue française, qu’elle est passée dans l’orbite française, mais avec quelque chose qu’on oublie souvent de dire : l’Alsace est une région de l’Allemagne historique. Elle est l’interface la plus rapide, la plus directe avec l’espace francophone. La preuve, le milieu de la vallée de la Bruche est la zone de partage des langues, c’est-à-dire que bien avant la domination française, l’Alsace est la région allemande la plus ouverte à ces échanges et inversement. C’est en quelque sorte un goulot, tout dépend dans quel sens on se place. En tout cas c’est le scotch, l’endroit où la relation se fait. Il va de soi que cette annexion a renforcé la chose, une double appartenance avec probablement une autre donnée importante : le vainqueur a été habile en réussissant à se faire reconnaître comme arbitre.</p>
<p>Je répète le mot d’ordre de l’intendant de Louis XIV qui disait « il ne faut point toucher aux usages de l’Alsace ». L’idée était de se dire « on est là, on coiffe le tout mais, en même temps, on va essayer de respecter les gens plus ou moins bien ». Parce que le Roi de France est quand même plus catholique que protestant. Mais, malgré tout, il garantit une certaine paix et c’est quelque chose d’important. C’est probablement à la fois une séduction que le royaume de France a exercé sur toute l’Allemagne, mais aussi particulièrement sur l’Alsace, qui a contribué à rendre l’Alsace française, incontestablement, en lui offrant de nouveaux horizons, en la valorisant, en faisant une sorte de vitrine. Bien entendu la question qui se pose est de savoir si le fait d’avoir subi une guerre abominable (tout comme d’autres régions d’Allemagne dans des proportions semblables) n’a pas rendu les Alsaciens plus fatalistes. Mais vous savez l’être humain oublie très vite. Il se peut que ça ai joué. En tout cas cela a au moins garanti un statut-quo ayant permit une coexistence des deux cultures : allemande et française, de deux confessions, voir plus : catholique et protestante, de deux systèmes politiques : celui très local existant en Alsace et le système très général, très centralisé qui existait en France.</p>
<p>Tout ça fait que « <a href="//emig.free.fr/ALSACE/" title="Jean du Trou aux Moustiques">Hans im Schnokeloch</a> » a pu naître dans de bonnes conditions, que les contraires on pu peut-être s’accommoder et ça a peut-être aidé à rendre les alsaciens plus expérimentés, peut-être plus ouverts. Pourquoi pas ? En tout cas il se peut que ça ait effectivement un impact encore durable. Il faut effectivement actualiser des situations, mais il faut éviter de faire trop de contre-sens. L’adverbe « toujours » je ne l’utilise pas beaucoup dans mon vocabulaire parce que je m’en méfie. En revanche il y a quand même des situations qui se reproduisent et je crois que ce qui est important c’est que nous avons la chance d’être dans une région possédant une expérience extraordinaire. Une expérience qui fait que nous sommes, et je reprends l’expression « l’équateur de l’Europe », l’endroit où deux hémisphères, deux mondes se rencontrent et où on est infiniment plus près d’ailleurs. Nous avons une double proximité qui est un atout extraordinaire. <em>L’Alsace est vosgienne <strong>et</strong> rhénane</em>. C’est une richesse. Je pourrais vous faire un beau couplet sur la nécessité de faire de Strasbourg la capitale de l’Europe, je ne vais pas le faire ici, ça nous mènerait très loin…</p>
<h3 id="remerciements">Remerciements</h3>
<p>Mercis au Professeur Georges Bischoff et au public pour ses questions.</p>
<p><a href="https://aufildusavoir.fr/articles/la-guerre-de-trente-ans-en-alsace/">La Guerre de Trente Ans en Alsace</a> publié par Pierre Buard sur <a href="http://aufildusavoir.fr">Au fil du savoir</a> le March 11, 2011.</p>