L’Univers est vaste, oui, mais de combien exactement ? Pour répondre à cette question il faut établir des repères.
Cette tâche est rendu difficile par le fait que le ciel nous apparaît en 2 dimensions et qu’il n’y a rien de plus semblable à un point lumineux qu’un autre point lumineux. Ce point lumineux lointain apparaîtra proche, car énorme, alors qu’un autre point, tout aussi lumineux, sera beaucoup plus près et donc petit. Pour remédier à ce problème les astronomes ont dû trouver un objet, les supernovæ, dont on maîtrise le comportement afin de s’en servir comme jalon et ainsi mesurer les distances.
Mais, car il y a toujours un « mais », l’espace entre la Terre et ces supernovæ n’est pas vide ! De la poussière, qui ne s’accumule pas que sur les télescopes, jonche l’Univers diminuant l’intensité des corps lumineux. Donc, il a fallu étudier cette poussière pour comprendre son influence.
C’est ce qu’a fait le Dr. Emmanuel Gangler, de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules, au sein d’un groupe international : la Nearby Supernova Factory.
Écouter « Dépoussiérer les étoiles » \
Télécharger « Dépoussiérer les étoiles » au format MP3.
Transcription
Comment fait-on pour calculer les distances ?
Le principe est relativement simple mais la mise en œuvre est compliquée. Nous avons affaire à des objets qui sont lumineux et lointains. Il n’est bien sûr pas question de prendre un mètre et d’arpenter l’Univers, cela prendrait beaucoup trop d’années pour réaliser la mesure. Donc, nous allons observer la lumière des étoiles telle qu’elle nous parvient.
Le principe est simple : plus la lumière est faible, plus on a envie de dire que l’étoile est lointaine, alors que plus elle est forte et on a envie de dire que l’étoile est proche. C’est une méthode qu’on appelle la « méthode des chandelles standard ». Si vous imaginez quelqu’un qui tient une bougie en regardant la lumière qui vient de la bougie vous pouvez dire si la personne est proche ou lointaine, même si tout le reste est plongé dans le noir.
Tout ça est très bien mais c’est un petit peu théorique parce-que des étoiles, à priori, il y en a des grosses, des petites et on comprend tout de suite que ça va compliquer la mesure. Depuis maintenant une bonne vingtaine d’années, les chercheurs ont mis en évidence un type d’étoile particulier qui sont des étoiles explosives. On les appelle « supernovæ de type Ia ». Ces étoiles ont le bon goût d’exploser avec toujours à peu près la même quantité de lumière produite. Donc on a une espèce d’objet magique, de chandelle magique, qu’on va pouvoir voir extrêmement loin dans l’Univers. Tout simplement parce-qu’un objet qui explose libère d’un seul coup une très grande quantité d’énergie, dont la luminosité est connue d’après des principes théoriques.
Il y a malheureusement quelques complications qui viennent du fait que ces objets explosent dans les galaxies, des ensembles d’étoiles pouvant contenir de la poussière, où la lumière passe à travers la poussière qui va en absorber une certaine quantité. Une quantité qui n’est pas forcément connue avec une poussière dont la nature est tout aussi inconnue.
Ce n’est pas la même poussière ici que… là-bas ?
C’est quelque chose qui n’est pas évident à priori. Quand on regarde des supernovæ exploser dans des galaxies extrêmement lointaines, on pourrait se dire que l’évolution des étoiles n’est pas aussi aboutie qu’aujourd’hui, car plus on regarde loin, plus on va regarder tôt dans le temps et on aura affaire à un Univers plus jeune. Est-ce que, dans cet Univers plus jeune, la taille des grains ne va pas être affectée par l’évolution stellaire ? On pense notamment à la quantité de métaux qui sont produits par les étoiles mais ce n’est pas la seule hypothèse. Rien n’est moins sûr et comme toute notre mesure repose justement sur la lumière qu’on reçoit, il est très important de s’assurer qu’on ne fait pas d’erreur sur cette mesure de distance.
Pourquoi veut-on avoir des mesures de distance extrêmement précises ?
Tout simplement parce-qu’on a observé expérimentalement que plus les supernovæ sont lointaines, moins elles sont lumineuses. Ça on s’y attendait, mais en même temps on s’est aperçu qu’elles étaient moins lumineuses que ce à quoi on s’attendait. L’interprétation est en terme d’expansion de l’Univers ; cette expansion qui va en s’accélérant est un résultat tout à fait incompris. Alors il est très important pour consolider ce résultat d’être sûr de notre mesure et, donc, que ces effets de poussières sont bien compris.
Vous avez parlé de « supernova de type Ia », cela veut dire qu’il y a plusieurs types ?
Il y a une grande zoologie de supernovæ. En fait, il existe deux grandes classes de supernovæ : les supernovæ de type Ia résultent de gigantesques explosions thermonucléaires qui ont lieux dans l’espace et qui s’observent. On les appelle « I » parce-qu’elles n’ont pas d’hydrogène observé. Les supernovæ de type II sont celles qui ont de l’hydrogène observé.
Puis on s’est aperçu que dans les supernovæ de type I, il y avait : celles ayant de l’hélium Ib, celles n’en ayant pas, Ia, et puis on a même par la suite mis en évidence des supernovæ dites de type Ic. En fait, les supernovæ de type II, Ib et Ic sont des explosions liées à la mort d’étoiles extrêmement massives. Ce sont les phénomènes explosifs auxquels les gens pensent naturellement quand on leur parle de supernova. Le mécanisme est simple : plus une étoile est massive, c’est-à-dire plus de huit fois la masse du Soleil, plus la fin de sa vie va être violente et donc produire des ondes de choc qui vont complètement volatiliser l’étoile (je simplifie, bien entendu).
Pour les supernovæ de type Ia, c’est un autre mécanisme. Ça part d’étoiles déjà mortes, des naines blanches, mais qui orbitent autour d’un compagnon (un peu comme les planètes orbites autour du soleil) et qui vont peu à peu aspirer de la matière de ce compagnon jusqu’à atteindre la masse de Chandrasekhar. Elle correspond à 1,4 fois la masse du soleil. Si vous réussissez à prendre une naine blanche et la faire croître jusqu’à cette masse de Chandrasekhar et bien ça donne une explosion, qui explosera toujours dans les mêmes conditions initiales et qui a pour conséquence une supernova émettant toujours la même luminosité. Voilà un peu pour les différences entre les supernovæ de type Ia et les autres supernovæ.
Pourquoi travaille-t-on avec les supernovæ de type Ia ?
Parce-qu’elles sont très reproductibles. Il s’agit toujours de la même quantité de matériaux qui va exploser et que les supernovæ de type II ont le mauvais goût d’être beaucoup moins lumineuses que les supernovæ de type Ia. Donc on les voit moins loin dans l’Univers.
Comment fait-on ce genre d’observation ?
La façon de mener ses observations a beaucoup changée ces dernières années. Il y a encore vingt ans, chasser les supernovæ était quasiment du travail d’amateur. Il fallait regarder le ciel régulièrement et puis chercher à l’aide de son télescope des nouveaux points qui brillaient dans le ciel. Pendant longtemps, le détenteur du record du monde de la découverte de supernova était un pasteur Australien connaissant très bien le ciel et qui, avec son télescope toutes les nuits, cherchait de nouvelles étoiles. Il en a trouvé un certain nombres comme ça.
Maintenant on est passé à des techniques plus « industrielles ». À l’aide d’instruments plus ou moins automatisés, avec des caméras CCD ; des espèces d’appareils photo numériques extrêmement sensibles mis derrière les télescopes. C’est un peu toujours la même histoire : on regarde une portion du ciel toutes les trois nuits, en moyenne, pour ensuite procéder à une soustraction d’images. On voit ainsi tous les changements dans le ciel. Il y a beaucoup de choses qui peuvent avoir changé. Il faut procéder à ce qu’on appelle un nettoyage des données ; retirer tous les satellites artificiels, mais pas que.
Ce qui nous embête le plus pour trouver les supernovæ ce sont les astéroïdes, ces petits corps, de gros rochers perdus dans l’espace, qui tournent autour du Soleil en renvoyant une faible fraction de la lumière du Soleil. Comme on cherche des objets qui sont extrêmement loin, donc extrêmement peu lumineux, ils apparaissent sur nos prises de vues alors qu’ils n’étaient pas sur l’image d’avant.
Il y a un certain nombre de nettoyages à faire en fonction de critères tel que l’évolution lumineuse de l’objet. Une supernova est en général associée à une galaxie, sa luminosité croit tandis que l’astéroïde lui, va défiler, il va passer. Sur la pose suivante, il ne sera plus là. On arrive à un lot raisonnablement « pur » en supernovæ. Il faut aller quand même assez vite parce-qu’on a une dizaine de jours avant que la supernova atteigne son point le plus lumineux (appelé le maximum de luminosité) avant de s’éteindre doucement pendant quelques mois. Il faut essayer de réaliser la mesure autour de ce maximum de lumière.
À partir du moment où on a détecté un objet qui pourrait être une supernova, il faut réagir assez vite pour faire une mesure de spectroscopie afin de vraiment identifier l’objet de façon formelle. Cela se fait en observant ces fameuses lignes, ou raies, dans le spectre. Il ne doit pas y avoir d’hydrogène mais plutôt certaines raies liées au silicium qui constituent la « carte d’identité » de la supernova et qui permettent de l’identifier sans ambiguïtés.
Avec ce genre de technique, le nombre de supernovæ trouvées de part le monde ces dix dernières années atteint entre 700 et un millier de supernovæ enregistrées. La prochaine décennie devrait arriver à des nombres beaucoup plus grand. Notamment, il y a un projet de télescope automatisé aux États-Unis, devant être mis en service vers 2020, appelé le LSST. Ce sera une véritable usine à supernovæ ; on devrait en observer des dizaines de milliers, voir des centaines de milliers.
Le ciel s’ouvre, donc.
Le ciel s’ouvre et, de façon assez incroyable, on en est vraiment aux touts premiers résultats permettant de vraiment faire des études de statistiques sur les objets. On en observe un très grand nombre dans des conditions presque identiques, ce qui permet justement d’identifier les effets subtils comme les problèmes de poussières dont on parlait tout à l’heure.
Le Dr. Emmanuel Gangler est Chercheur à l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules.
Les travaux issus d’une collaboration franco-américaine (The Nearby Supernova Factory) ont été publiés dans le journal Astronomy and Astrophysics (DOI : 10.1051/0004-6361/201116723)
« Une poussière suffit à troubler l’œil de l’esprit. »
The Tragical history of Hamlet, William Shakespeare, 1603
(trad. Jean-Michel Déprats)